Depuis un an, la GRC ne consacre presque plus de temps et de moyens à ses enquêtes sur le scandale des commandites, révèlent des données financières obtenues par La Presse. Explication partielle: plusieurs de ces dossiers seraient bouclés et attendent sur le bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, à Québec, en vue d'éventuelles accusations et arrestations.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a dépensé 12,5 millions de dollars depuis 2002 pour mener son enquête, baptisée Projet Carnegie, sur le scandale des commandites. Cette somme est ventilée comme suit: 873 000$ pour les dépenses des enquêteurs, 10,6 millions de dollars en salaires et 915 000$ en heures supplémentaires, selon les chiffres obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Mais du 1er avril au 1er juin 2011, Projet Carnegie n'a coûté que 977$ en salaires et dépenses (21$). Cette somme ne représente que quelques heures de travail pour les enquêteurs de la Division C, à Montréal.

La tendance était déjà nettement à la baisse depuis un an. Des mois d'avril 2010 à mars 2011, la GRC a dépensé 67 000$ pour son enquête, bien moins que les sommes investies dans les années précédentes, qui se comptent en centaines de milliers de dollars, voire en millions, comme en 2005-2006.

La GRC s'est réfugiée derrière le secret des enquêtes lorsque La Presse a demandé des explications. L'enquête est-elle à l'agonie, bouclée partiellement ou en totalité? «Le processus est encore en cours», a répondu la sergente Julie Gagnon, porte-parole.

Au bureau de Me Louis Dionne, directeur des poursuites criminelles et pénales à Québec, on indique que «les dossiers sont à l'étude». Impossible d'en connaître le nombre. On sait qu'il s'agit des fruits du travail de la GRC, mais aussi de la SQ, qui a enquêté jusqu'en 2008 sur certains éléments du scandale.

Selon nos sources, des avancées majeures, y compris des arrestations, étaient anticipées dans les derniers mois.

En octobre 2009, La Presse avait révélé que les enquêteurs de la GRC s'étaient entretenus avec l'ex-ministre Alfonso Gagliano. Celui-ci n'a toutefois jamais été inquiété depuis, non plus qu'aucun des acteurs majeurs de ce scandale sur le plan politique. On a appris aussi qu'une partie de l'argent détourné avait été utilisée pour les loisirs de l'ex-patron du programme.

Seulement 6,7 millions récupérés

Le gouvernement fédéral et son procureur, Me Sylvain Lussier, n'ont récupéré auprès de huit défendeurs que 6,7 millions de dollars «de fonds versés indûment dans le cadre du Programme de commandites, par le biais de règlements extrajudiciaires et autres recouvrements», selon le site internet de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Mais ces données datent de février 2010. Les trois derniers recouvrements remontent à 2009. À l'origine, le gouvernement s'était fixé comme objectif de récupérer 49 millions auprès de six entreprises et huit individus. «D'autres sommes seront fort probablement récupérées, à la suite du procès ou d'autres règlements hors cour», dit Sébastien Bois, porte-parole au ministère des Travaux publics. La date du procès au civil n'a toutefois pas encore été fixée par la Cour supérieure.

Le programme de commandites, doté d'une enveloppe de 332 millions de dollars, avait été lancé à la suite du référendum de 1995 par le gouvernement de Jean Chrétien pour augmenter la visibilité du fédéral dans diverses manifestations sportives et culturelles au Québec. Il a été démontré depuis, lors des audiences de la commission Gomery, qu'une grande partie de cette somme a été détournée vers les caisses du Parti libéral du Canada au moyen de commissions gonflées perçues par des agences de publicité imposées comme intermédiaires. Au PLC-Québec, c'était feu Giuseppe Morselli qui aurait été l'instigateur principal du stratagème de financement illégal.

Dans les dernières années, quatre des acteurs de ce scandale ont été condamnés pour fraude à des peines d'emprisonnement allant jusqu'à 42 mois. Il s'agit des publicitaires Jean Lafleur, Paul Coffin et Jean Brault ainsi que de Charles Guité, haut fonctionnaire responsable du programme. De leur côté, l'ex-premier ministre Jean Chrétien, son chef de cabinet, feu Jean Pelletier, et Alfonso Gagliano ont contesté en Cour fédérale les conclusions du juge Gomery. La justice a donné en partie raison à MM. Chrétien et Pelletier.

- Avec la collaboration de William Leclerc