Les plaintes au sujet du régime d'assurance emploi ont explosé au Canada depuis 2006. Et les données disponibles pourraient ne représenter que la pointe de l'iceberg.

Le nombre de ces plaintes a été multiplié par 10 depuis 5 ans, passant de 444 en 2006-2007 à 4123 en 2010-2011. C'est ce que révèle un tableau du gouvernement fédéral que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le gouvernement donne deux raisons pour expliquer cette hausse: la crise économique, d'une part, qui a occasionné une augmentation du nombre de demandes de prestations, et la création d'un nouveau bureau des plaintes au gouvernement fédéral en 2005, le «Bureau de la satisfaction des clients».

«Avant la création du Bureau de la satisfaction des clients en 2005, il n'y avait pas de moyen officiel de porter plainte. Cependant, les clients pouvaient discuter avec un agent par l'entremise du service d'information téléphonique de l'assurance emploi», a-t-on précisé au ministère des Ressources humaines.

Mais Pierre Céré prend ces explications avec un grain de sel. «Je suis coordonnateur du Comité Chômage de Montréal, porte-parole du Conseil national des chômeurs, je m'active dans ces milieux depuis plus d'une trentaine d'années... Je n'ai jamais, mais jamais, entendu parler de ce bureau de la satisfaction! Drôle de nom, tout de même», a-t-il réagi.

Selon lui, ces chiffres sont loin de représenter l'ampleur du mécontentement à l'égard du système. «En 2008-2009, 2,14 millions de demandes de prestations ont été présentées. Pour cette même année, il y a eu 2470 plaintes. Autant dire qu'il n'y a pas de problème», a-t-il lancé.

Il n'entend pas pour autant recommander aux centaines de chômeurs qui lui demandent conseil chaque année de porter plainte au «Bureau de la satisfaction». «Ça ne sert à rien», a-t-il dit.

Chemin de croix

Retards, labyrinthes bureaucratiques, manque de respect - réel ou perçu - de la part de fonctionnaires... Les histoires d'horreur sont nombreuses et les gens qui ont parcouru un véritable chemin de croix ne sont pas difficiles à trouver, soutient M. Céré.

Patricia Martinez, secrétaire de Laval, a vu ses prestations d'assurance emploi être interrompues après que le gouvernement eut appris qu'elle avait hérité de la garde des cinq enfants de son frère, en plus des deux siens. La raison: dans de telles circonstances, impossible de se chercher un emploi, encore moins de travailler. Ottawa a même réclamé le remboursement des sommes reçues par cette mère seule pendant plusieurs mois. Elle a contesté et gagné sa cause, du moins en partie. Elle attend maintenant d'être entendue en processus d'appel, pour renverser le reste de la décision du gouvernement. «J'ai des dettes sur mes cartes, les téléphones et l'Hydro... J'essaie de payer le plus que je peux payer», dit-elle, au bord des larmes.

David Marshall, Montréalais, a dû attendre trois mois, de novembre à février derniers, avant de recevoir ses prestations. De délais de 48 heures en délais de 48 heures, il s'est finalement plaint auprès de son député local, le néo-démocrate Thomas Mulcair. Coïncidence? Son dossier s'est réglé peu de temps après. L'urbaniste dans la trentaine est resté très amer de son expérience. «Service Canada est totalement incompétent, dénonce-t-il. Il incombe aux contribuables de régler eux-mêmes leur dossier, loin des délais de 28 jours qu'on fait miroiter, alors que nous, les chômeurs, devrions mettre toute notre énergie à chercher un emploi.»

Ni M. Marshall ni Mme Martinez n'ont porté plainte au Bureau de la satisfaction.

Les Sans-Chemise, groupe de défense des droits des chômeurs dont fait partie Pierre Céré, a demandé aux partis politiques durant la dernière campagne électorale de s'engager à améliorer le système après les élections. «Un chômeur sur deux n'a pas accès au système. Faut que ça change!», disait l'une de ses affiches. Son site web contient une demi-douzaine de témoignages de chômeurs mécontents de leur sort.

Taux de succès de 80%?

Pourtant, les porte-parole du gouvernement sont formels: 80% des demandes obtiennent une réponse dans un délai de 28 jours, jurent-ils.

«J'ai appris à me méfier des formules qu'ils peuvent utiliser pour arriver à ces chiffres», dit cependant Pierre Céré.

La situation a été particulièrement corsée lors de la crise économique, en 2009, avec un nombre accru de demandes qui a forcé Ottawa à embaucher plusieurs employés temporaires pour faire face à la demande. Depuis, plusieurs de ces employés temporaires ont été remerciés de leurs services.

«Manifestement, on est retombé dans ce grand problème des délais administratifs», croit M. Céré. Il contredit ainsi le ministère des Ressources humaines, qui a toutefois refusé de détailler les plaintes reçues, malgré les demandes répétées de La Presse.

- Avec la collaboration de William Leclerc