Après les années d'affrontement, la conciliation?

Le ton a changé, à St. John's. En 2008, Danny Williams, le très populaire et populiste premier ministre, a bouté les conservateurs fédéraux hors de Terre-Neuve après une campagne anti-Harper furieuse.

Ce mois-ci, on a vu Kathy Dunderdale, nouvelle première ministre, partager la scène avec Stephen Harper.

Mais qu'on ne s'y trompe pas. La philosophie n'a pas changé.

«Je suis différente, mais je suis tout aussi passionnée et imprégnée de l'histoire de Terre-Neuve-et-Labrador», dit-elle.

Dès sa nomination, en décembre, Stephen Harper l'a rencontrée et a répondu favorablement à ses deux demandes: régler le différend territorial avec les Innus du Labrador. Et garantir un prêt pour développer le Bas-Churchill.

«Je ne dis pas pour qui voter, mais j'ai été entendue.»

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Danny Williams, issu d'une famille bourgeoise de St. John's, est un boursier Rhodes devenu avocat puis homme d'affaires qui a fait une fortune de 200 millions en vendant ses actions dans une entreprise de cablôdistribution.

Kathy Dunderdale, travailleuse sociale et communautaire, vient d'une famille rurale typique de Terre-Neuve: 5e de 11 enfants, dont le père était pêcheur.

Mais le nationalisme terre-neuvien traverse toutes les classes.

«Depuis les années 70, nous avons commencé à nous redéfinir, à nous réapproprier notre histoire et notre culture, au lieu de nous laisser définir par les autres. On a assisté à une vraie renaissance.

«En 2003, avec l'élection de Danny Williams, une énorme étape a été franchie. Pour la première fois de notre histoire, on n'a pas seulement dit que nos ressources devaient être exploitées dans le meilleur intérêt des gens de la province. On a agi en conséquence.»

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Cela a voulu dire négocier autrement. En plus de participation dans les entreprises qui exploitent le pétrole, Terre-Neuve a négocié de super-redevances basées sur le cours du pétrole: plus il grimpe, plus le pourcentage augmente. Résultat: le tiers des revenus de la province provient du pétrole cette année.

Quand AbitibiBowater a fermé son usine de Grand Falls, St. John's l'a expropriée - Ottawa a dû verser une compensation de 130 millions.

«Depuis 500 ans, des gens sont venus ici pour exploiter nos ressources. On veut que ça se fasse équitablement.

«On a fini de se sentir comme des citoyens de deuxième zone au Canada. On a longtemps été méprisés, on ne nous écoutait pas. Je peux vous produire des piles d'articles du Canada central qui nous traitent de paresseux, qui disent qu'on devrait nous larguer dans l'océan, qui rient de nous. On a un bon sens de l'humour, on ne se prend pas trop au sérieux. Mais on connaît la différence entre l'humour et le mépris.»

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Mme Dunderdale est le premier enfant de sa famille né canadien dans un foyer opposé à la Confédération.

«Nous avons eu un débat très amer sur notre avenir en 1949 (année de l'entrée dans le Canada) et les vestiges de ce débat sont demeurés visibles longtemps.»

Le reste du pays a eu un choc récemment en voyant que Terre-Neuve ne recevait plus de paiements de péréquation, mais versait de l'argent au programme.

«Ce n'est que la comptabilisation avec des chiffres de notre contribution. Nos pêcheries, notre énergie, notre minerai ont contribué au développement économique de tout le pays, mais on nous considérait quand même comme un boulet.»

Évidemment que Terre-Neuve-et-Labrador forme une nation, dit-elle.

«Comme peuples, les gens du Québec et de Terre-Neuve se comprennent peut-être mieux que n'importe qui d'autre au Canada. Je ne crois pas qu'ailleurs au Canada il y ait un tel sentiment d'identité.»

Mais nul besoin d'inscrire ça dans la Constitution: «Tout ce qu'on demande, c'est du respect.»

Malgré le boom pétrolier et minier, malgré le succès de quelques villes en dehors de St. John's, tout le Terre-Neuve rural côtier est en train de s'éteindre.

«Il y a un demi-million de personnes réparties dans 800 communautés le long de la côte, c'est le plus haut taux de municipalités par personne au Canada. Certaines vont devoir fermer. On ne peut entretenir ces infrastructures. Mais ça ressemble au milieu rural au Québec, en Angleterre, partout: les jeunes partent pour la ville. Il y a aussi trop d'usines de transformation de poissons pour les stocks actuels.»

Je lui fais remarquer qu'elle s'est fait connaître en combattant la fermeture de l'usine de son village. Ses yeux s'allument.

«On a eu raison de se battre! Mon père était allé en mer 27 jours et devait de l'argent pour la nourriture qu'il avait mangée. Il avait travaillé comme un chien sans être payé et il devait de l'argent! L'entreprise avait un régime de retraite, mais personne n'en profitait, les gens mouraient bien avant. C'était ça, cette entreprise. Et un jour, après avoir fait des profits sur notre dos, ils nous disent: merci pour tout, on s'en va construire une autre usine plus moderne ailleurs. Un instant!»

Le contrat de 1969

Après avoir échoué en Cour suprême il y a 20 ans à faire annuler le fameux contrat de vente d'électricité des chutes Churchill de 1969, Terre-Neuve a lancé une nouvelle attaque judiciaire, cette fois au nom de l'équité du contrat. Bon jusqu'en 2041, il donne 0,25 cent par kilowatt à Terre-Neuve. Hydro-Québec le revend plus de 7 cents.

«Nous allons honorer ce contrat tant qu'il tiendra, mais il est injuste. Cette électricité rapporte 2 milliards au Québec et 100 millions ici la même année. C'est injuste.

«Viendra un jour où il nous faudra payer pour envoyer cette électricité au Québec. Quelqu'un peut-il prétendre que c'est juste?»

Je signale que Jean Charest est choqué de voir Ottawa soutenir le développement hydroélectrique du Labrador.

«Vous croyez qu'on n'a pas subventionné l'électricité du Québec, nous? Ce contrat injuste est une subvention énorme pour le développement économique du Québec!»

L'aide d'Ottawa n'est qu'une garantie de prêt, qui ne coûtera rien, et qui permettrait à Terre-Neuve de contourner les lignes d'Hydro-Québec. Terre-Neuve tente d'en obtenir l'accès, mais une querelle quant à la capacité des lignes électriques et du prix à payer bloque le dossier. La Régie de l'énergie a donné raison à Hydro-Québec chaque fois.

«Nous ne croyons pas avoir une audition équitable. Considérez seulement les délais. Nous avons suivi le même processus au Nouveau-Brunswick et ce fut une expérience totalement différente.

«Hydro-Québec a une position géographique qui lui permet de jouer à l'arbitre de la distribution d'énergie dans ce pays. C'est très frustrant. Nous comprenons l'industrie de l'énergie. On a construit Churchill Falls, on l'exploite. Cette électricité est faite par nous. On a 40 ans d'expérience.

«C'est triste, parce qu'il y a un énorme marché et si on développe tout ce qu'on a, au Québec comme chez nous, on ne pourrait même pas fournir 50% de la demande. Alors, pourquoi ne pas coopérer? Le bénéfice serait colossal pour tout le monde.

«Et puis, 2041 s'en vient. Alors pourquoi ne pas s'entendre? Sinon, le Québec se trouvera un jour au fond d'une sorte de labyrinthe.»