Le projet de loi pour abolir les libérations conditionnelles au sixième de la peine a été adopté mercredi soir dans une proportion de 184 députés contre 105, malgré l'opposition de deux partis à Ottawa et du Barreau du Québec.

Conservateurs et bloquistes ont voté en faveur, alors que tous les députés libéraux et néo-démocrates ont tenté de le bloquer.

Si ce projet devient loi, tous ceux ayant été condamnés ne pourront plus demander à être libérés hâtivement, après n'avoir purgé que le sixième de leur peine.

Le projet de loi C-59 vise la plupart des crimes non violents, même s'il a été beaucoup associé aux «criminels à cravate» comme Vincent Lacroix et Earl Jones.

L'initiative était à l'origine celle du Bloc québécois qui avait déposé son propre projet de loi en 2007. Les conservateurs s'y étaient par contre opposés à deux reprises lorsqu'il avait été soumis au vote.

Mais au premier jour de la rentrée parlementaire, le 31 janvier dernier, le chef bloquiste Gilles Duceppe avait traversé la Chambre des communes pour enjoindre personnellement Stephen Harper d'appuyer son projet.

La démarche a porté fruit et l'affaire a ensuite été menée rondement.

La nouvelle mouture du projet de loi, rebaptisé C-59, a fait l'objet d'une étude par voie accélérée, sous les cris de protestation du Parti libéral et du Nouveau Parti démocratique (NPD) qui condamnaient cette imposition du bâillon.

Ils estimaient que le projet de loi devait plutôt être étudié en profondeur afin d'évaluer son impact et aussi de pouvoir proposer des amendements.

C-59, déposé mercredi dernier, a ainsi franchi toutes les étapes du processus législatif en à peine une semaine.

Mardi soir, les libéraux ont mis de l'avant un amendement afin de limiter l'abolition des libérations hâtives aux fraudeurs de plus de 100 000$, une proposition aussitôt rejetée.

Libéraux et néo-démocrates craignent de plus que la loi ne s'attaque injustement aux petits délinquants - qui auraient commis par exemple du vandalisme ou des vols - qui ne posent plus de risques pour la société et qui devraient plutôt être sortis de prison pour être réhabilités.

Étant du même avis, le Barreau du Québec a écrit à la veille du vote au ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, pour lui manifester son opposition au projet, notamment parce qu'il estime qu'il «ouvre la porte à une contestation constitutionnelle», peut-on lire dans la lettre du Bâtonnier Gilles Ouimet, datée du 15 février.

Une contestation constitutionnelle qui risque de se retrouver devant les tribunaux rapidement.

Car la loi pourrait être considérée comme rétroactive puisqu'elle s'appliquerait notamment à des personnes ayant déjà reçu leur peine. Or, certains d'entre eux pourraient avoir plaidé coupable pour éviter un long et coûteux procès, en sachant qu'ils pourraient bénéficier d'une libération au sixième de leur peine. Avec C-59 qui change les règles du jeu, cela ne serait plus possible.

Selon Stephen Fineberg, président du groupe de travail du Barreau sur les libérations conditionnelles, C-59 est un «désastre».

«Cela va changer le portait du système pénitencier au Canada et pour longtemps», a-t-il déclaré d'entrée de jeu.

«Adopter un projet de loi qui est tellement controversé, dont la constitutionnalité est vraiment en question, c'est un non sens. Ça va causer de l'instabilité dans le système», a-t-il déploré.

Gilles Duceppe a rejeté ces critiques du revers de la main.

Il a affirmé, peu avant le vote, que le Barreau se trompe en affirmant que le projet risque d'être déclaré inconstitutionnel.

«On ne parle pas de la détermination de la peine, ce qui est sous la Charte, mais de l'application de la peine. C'est très différent», a-t-il argumenté, tout comme l'a fait le ministre Toews peu après le vote.

Le chef bloquiste affirme avoir consulté beaucoup et avoir reçu l'opinions d'avocats sur ce projet depuis quatre ans et rappelle que la libération conditionnelle au tiers de la peine existera toujours.

Après l'adoption de C-59 aux Communes, le député néo-démocrate Thomas Mulcair a déclaré qu'il croit que le Bloc s'est allié aux conservateurs car le parti a peur de perdre des circonscriptions au Québec aux mains des troupes de Stephen Harper.

«Ça donne un chèque en blanc pour l'agenda de loi et d'ordre de Stephen Harper», a-t-il déploré.

Les libéraux et les néo-démocrates ont d'ailleurs prévenu que si la mesure devient loi, il en coûtera au moins 100 millions $ de plus aux contribuables par année, puisque les criminels resteront plus longtemps en prison.

M. Toews a promis que des chiffres sur les coûts engendrés par cette mesure seront déposés jeudi en comité parlementaire.

Le projet est maintenant référé au Sénat, où il devrait normalement être adopté puisque les conservateurs y sont majoritaires.

Reste à voir s'il sera aussi mis sur la voie rapide à la Chambre haute.