Le Bloc québécois accorde un sursis à l'entrepreneur Tony Accurso. Contre toute attente, la motion qui devait le forcer à venir témoigner devant le comité des finances à Ottawa n'a toujours pas été présentée par son instigateur, le député bloquiste Daniel Paillé, a appris La Presse.

Le 14 décembre dernier, Daniel Paillé avait envoyé au greffier du comité la motion suivante: «Que, conformément à l'article 108 (2) du Règlement, le Comité entreprenne dans les plus brefs délais une étude sur les allégations de corruption et de collusion au sein de l'Agence du revenu du Canada, en lien et non limitée, à la fausse facturation et aux réclamations frauduleuses faites par des entreprises de construction.» Comme le veut la procédure, le greffier a vérifié sa recevabilité et l'a fait traduire dans un délai de 48 heures.

Cet avis de motion a été déposé juste après que deux firmes de Tony Accurso, Simard-Beaudry et Construction Louisbourg, eurent plaidé coupable à des accusations de fraude fiscale, et après que Daniel St-Amand, directeur de la vérification aux bureaux montréalais de Revenu Canada, eut été violemment battu dans le stationnement d'un restaurant italien du quartier Rosemont. Ce dernier, qui enquêtait sur des dossiers de corruption à l'agence gouvernementale, figure parmi la liste des témoins à entendre, tout comme Francesco Bruno, dirigeant de BT Céramique, condamné lui aussi pour fraude fiscale. M. Bruno a reconnu avoir fourni pour 3,9 millions de dollars de fausses factures à Simard-Beaudry et Construction Louisbourg. La motion visait aussi les fonctionnaires suspendus ou congédiés pour corruption. Ceux-ci auraient joué un rôle actif notamment dans les fraudes impliquant les entreprises de Francesco Bruno et de Tony Accurso.

«Ni recul ni pressions»

La cause semblait entendue. Les libéraux et le NPD n'avaient pas caché qu'ils appuieraient cette motion, qui avait fait grand bruit à l'époque. Mais depuis, rien n'a bougé.

Jean-François Pagé, le greffier du comité, nous confirme que les membres de cette instance se sont réunis trois fois depuis le début du mois de février mais que Daniel Paillé n'a toujours pas présenté sa motion. Aucun vote n'a donc pu avoir lieu. «M. Paillé l'a en main depuis le 16 décembre, précise Jean-François Pagé. Il peut la présenter à n'importe quel moment.» Mais une fois cette étape franchie, le greffier devra ensuite monter le dossier, assigner les témoins et, surtout, trouver une date de comparution. Et c'est sans compter les semaines où la Chambre ne siégera pas d'ici à Pâques. «Tout le mois de mars est déjà plein, dit-il. À ce jour, ça n'ira pas avant le mois d'avril.»

Daniel Paillé se défend d'avoir «reculé» ou d'avoir subi des «pressions». Il explique que le comité est plutôt en train de se pencher sur les paradis fiscaux, à sa demande, et qu'il y a plus de témoins à interroger que ce qu'on avait initialement prévu. «C'est aussi moi qui avais présenté cette motion, explique-t-il. Je ne vais pas m'autoconcurrencer.»

Pour le député d'Outremont et numéro 2 du NPD, Thomas Mulcair, aussi membre de ce comité, le temps presse. Il cache mal son impatience de voir ses collègues et lui se pencher sur la «capacité de Revenu Canada, un organisme clé du gouvernement, de bien faire son travail». Selon lui, chaque jour qui passe, avec en prime le spectre d'élections fédérales, augmente le risque de voir la comparution de Tony Accurso et des autres témoins reportée de plusieurs mois.

Même s'il ne veut pas spéculer sur d'éventuelles élections ni sur le moment où il présentera sa motion en suspens, Daniel Paillé se veut rassurant: «M. Accurso ne perd rien pour attendre.»