S'il soutient qu'il ne souhaite pas d'élections ce printemps, Stephen Harper s'est montré peu enclin à acquiescer aux demandes de l'opposition, en vue du dépôt de son budget dans quelques semaines.

Le premier ministre s'est dit prêt à «écouter» les partis d'opposition, qui ont tous trois fait état de leurs demandes pour le budget attendu fin février ou début mars.

Mais il les a aussitôt accusés de ne pas toujours être conséquents, car certaines de leurs positions ont changé en cours de route, a déploré M. Harper.

«Je suis toujours prêt à écouter les partis d'opposition, mais certains jours ils sont un peu comme une cible en mouvement», a-t-il lancé, en point de presse dans la région de Toronto, jeudi.

Le chef conservateur a argué qu'il souhaitait s'occuper de l'économie plutôt que de plonger le pays en élections.

Il a toutefois donné un avant-goût de sa plateforme électorale, en remettant sur la table un dossier controversé qui a bien failli lui coûter le pouvoir il y a deux ans.

Si les Canadiens sont appelés aux urnes, M. Harper a déjà prévenu qu'il ferait campagne pour annuler le financement public des partis politiques -une stratégie qui avait mené à la création d'une coalition pour le renverser, en 2008.

Le premier ministre estime depuis longtemps que ces subventions sont injustifiées. Après avoir fait marche arrière, forcé par la menace d'une coalition formée des partis d'opposition, M. Harper avait néanmoins annoncé qu'il en ferait une promesse électorale. Promesse qu'il met dès maintenant de l'avant.

«Quand on donne une subvention sans aucun effort des partis politiques pour gagner leurs propres fonds, je pense que c'est une dépense qu'on ne peut justifier», a-t-il avancé.

«C'est aux électeurs, aux électrices, eux-mêmes de décider de donner des fonds aux partis politiques, ce n'est pas au Trésor fédéral de les subventionner directement comme ça», a-t-il plaidé, en reconnaissant du même souffle que son parti ne pouvait pas mettre fin à cette mesure tant qu'il dirige un gouvernement minoritaire.

Mis en place par le gouvernement libéral de Jean Chrétien, le financement public des partis politiques accorde chaque année 2 $ par vote récolté aux urnes par les formations lors de la dernière élection. Une enveloppe qui se chiffre à quelque 27 millions de dollars par année.

Les conservateurs ne dépendent que très peu de cette source de financement, tandis qu'elle représente une part importante des finances des partis d'opposition, à cause de leur modèle de financement respectif.

L'an dernier, le Parti conservateur a perçu 10,4 millions de dollars grâce à ces subventions, tandis que le Parti libéral a touché 7,3 millions, le Nouveau Parti démocratique (NPD) 5 millions, le Bloc québécois 2,8 millions et le Parti vert 1,9 million.

Cette nouvelle fronde du premier ministre Harper vient donc s'ajouter aux négociations qui semblent ardues en vue du budget.

Une élection au printemps semble se profiler à l'horizon, puisque le premier ministre rejette déjà la principale demande des libéraux, qui veulent annuler les baisses d'impôt prévues pour les grandes compagnies.

Et il semble de moins en moins probable que le gouvernement consente à la condition formulée par le Bloc québécois, qui exige une compensation pour le Québec pour l'harmonisation de sa taxe de vente.

M. Harper a en outre aussi critiqué les demandes du NPD pour les aînés, jeudi.

Or, le gouvernement a besoin de l'appui d'au moins un parti d'opposition pour survivre à un vote de confiance comme celui entraîné par le dépôt du budget.

Et au moment de préparer le document, les opposants du premier ministre estiment que son attitude n'annonce pas de compromis.

«C'est une volte-face complète de ce qu'il (M. Harper) a dit dans ses entrevues de fin d'année, où il s'est dit prêt à coopérer avec les autres partis, à mettre un peu d'eau dans son vin», a déploré le libéral, David McGuinty.

Une opinion partagée par le chef du NPD, Jack Layton, même si son parti a davantage présenté une attitude conciliante, en n'ayant pas ciblé de condition non-négociable à son appui au budget. M. Layton s'est même dit encore optimiste de voir M. Harper faire des compromis.

Le premier ministre n'a cependant pas joué de prudence, jeudi, en relançant un dossier explosif qui a rapidement été dénoncé par l'opposition, qui accuse M. Harper d'être «hypocrite» en plaidant vouloir retirer le financement public des partis politiques pour réduire les dépenses de l'État.

«C'est des jeux politiques, pas une question économique», a tranché le chef néo-démocrate, tandis que M. McGuinty a noté que les conservateurs avaient fait grimper les dépenses nationales.

De l'avis de l'opposition, mettre un terme aux subventions des partis nuirait à la démocratie, en muselant les plus petits partis.

«On ne veut pas retourner au monde où c'est ceux qui ont l'argent pour payer la facture qui ont accès au gouvernement», a argué M. Layton, en entrevue téléphonique.

Mais la sortie de M. Harper n'a rien d'anodin, selon ses opposants, qui y voient un geste délibéré pour les provoquer.

«Je pense que c'est intentionnel. Il souffle le chaud et le froid. (...) Il n'y a rien de gratuit dans ça, c'est de la stratégie», a estimé le chef bloquiste, Gilles Duceppe.