Calgary se dote d'un maire musulman et le très libéral Toronto pourrait très bien élire aujourd'hui un maire populiste à la Sarah Palin (version mâle et talons plats) qui avoue très candidement que les immigrants, ça commence à faire. Décidément, les idées préconçues sur le ROC (Rest of Canada) en prennent pour leur rhume par les temps qui courent.

«Si on le compare à Rob Ford, Mel Lastman pourrait passer pour Abraham Lincoln», lance Nelson Wiseman, professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto.

Mel Lastman, c'est cet ex-maire de Toronto coloré au possible qui, en 2001, avant d'aller au Kenya pour promouvoir la candidature de sa ville pour l'obtention des Jeux olympiques, s'était mis à badiner sur l'Afrique, ce continent plein de serpents et où il faut redouter d'être plongé «dans une marmite d'eau bouillante avec des autochtones qui dansent tout autour».

Qu'a fait Rob Ford pour passer pour plus mal dégrossi encore?

Contre l'immigration massive

Dans un récent débat télévisé, il s'est clairement opposé à l'arrivée massive de Tamouls à Toronto. «Selon le plan officiel - que je n'appuie pas -, la ville accueillera un million d'immigrants de plus d'ici dix ans. Ça va devenir chaotique. Je pense qu'il faut dire: assez, c'est assez.»

Selon le politologue Nelson Wiseman, Rob Ford a osé dire tout haut ce que d'aucuns pensent tout bas - ce qui pourrait lui valoir bon nombre de votes.

Parce qu'il est favori (mais de peu) dans les sondages, Rob Ford est vite devenu l'homme à battre. Son arrestation en Floride en 1999 pour conduite en état d'ébriété et possession de marijuana n'a pas manqué de revenir à la surface et, surtout, la façon dont il y a réagi à l'époque. «C'est ça, jetez-moi donc en prison», avait-il lancé aux policiers.

Malgré cette tache à son dossier, Rob Ford, conseiller municipal à Toronto depuis 10 ans, est toujours en selle, rendu populaire par un discours antigaspillage très appuyé.

«À Toronto, tous les conseillers municipaux ont une allocation annuelle de dépenses de 53 000$, signale Nelson Wiseman, professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto. Ils peuvent l'utiliser comme ils l'entendent, comme en fait foi cette fête à 12 000$ qu'a organisée l'un des conseillers pour ses collaborateurs. Rob Ford, lui, ne prend pas cet argent pour le sien et va jusqu'à acheter ses agraffeuses et ses trombones avec son argent de poche. Et ça, c'est le genre de truc qui plaît aux électeurs ces temps-ci.»

Un ancien ministre comme rival

Rob Ford est réputé être l'homme des banlieues. Son plus proche rival, qui pourrait aussi l'emporter aujourd'hui, est George Smitherman qui, lui, fait beaucoup plus «Bay Street». Pour espérer gagner la mairie de Toronto, il a mis entre parenthèses sa carrière de ministre provincial.

C'est lui que les libéraux - parmi lesquels Justin Trudeau - appuient très publiquement.

C'est lui, aussi, qu'a soutenu vendredi le Globe and Mail dans ses pages éditoriales. Timidement, du bout des lèvres, par défaut.

Pour le Globe and Mail, les électeurs doivent choisir entre un candidat (Ford) qui risque de nuire par ce qu'il dira ou fera et un candidat (Smitherman) qui risque de nuire à la ville par ce qu'il ne fera pas.

Certes, écrit le quotidien torontois, Smitherman n'a ni vision ni stratégie claire. Le genre de «politicien professionnel» plus réputé par sa gestion à la petite semaine que par ses idées inspirantes.

Il reste que Smitherman risque moins de se mettre un pied dans la bouche, «d'embarrasser ou de nuire à Toronto par ses paroles ou par ses actions».

Peut-être aussi qu'au final, peut-on lire dans le Globe and Mail, Smitherman saura mieux manoeuvrer avec les syndicats, ce qui n'est pas négligeable dans une ville comme Toronto qui a vécu toute une crise des ordures il y a un peu plus d'un an.

Or, on parle ici d'une campagne municipale, ce qui signifie que la question des taxes occupe souvent le haut du pavé. Smitherman a promis de geler les l'impôt foncier (ce qui a déjà amené Toronto dans le rouge), Ford, lui, de les faire augmenter, mais à un rythme moins soutenu.

À moins que ce ne soit des choses bien loin de la politique qui finissent par faire la différence.

Dit crûment, Rob Ford est gros et son tour de taille a fait beaucoup jaser depuis le début de la campagne.

George Smitherman, lui, est ouvertement gai et officiellement marié à l'homme de sa vie depuis 2007.

Il reste maintenant à voir si les préjugés influeront sur le vote d'aujourd'hui, et lesquels pèseront le plus lourd.