L'ancien ministre conservateur des Anciens combattants, Greg Thompson, a eu accès, en 2006, à des informations médicales et financières confidentielles appartenant à un défenseur farouche des vétérans.

Ces informations personnelles concernant Sean Bruyea se sont en effet retrouvées dans les notes de synthèse auxquelles La Presse Canadienne a eu accès.

Elles font surface moins d'un an après la démission du ministre Thompson, qui a quitté le caucus en janvier 2010, invoquant des raisons personnelles. Il a cédé sa place au député de Jonquière-Alma, Jean-Pierre Blackburn.

Préparé par des fonctionnaires, le document comprend deux annexes et présente en long et en large l'état de santé physique et psychologique de M. Bruyea.

Un rapport psychiatrique y figure également.

Un extrait de ce rapport datant de 2005 est d'ailleurs inclus dans les notes. Dans le passage, le psychiatre de Sean Bruyea prévient que la condition psychologique de son patient «se détériore» et qu'il entretient des pensées suicidaires - une conséquence du traitement qu'il recevait au ministère à l'époque, selon le docteur.

Les notes datées du 20 mars 2006 font aussi référence au problèmes de santé dont se plaignait M. Bruyea: syndrome de fatigue chronique, maux de tête et autres malaises.

Des détails sur sa pension et sur l'argent que le ministère consacrait à ses traitements s'y trouvent également. Son nombre de visites chez le médecin y est détaillé.

Le document a été consulté par au moins trois hauts fonctionnaires du gouvernement et par des centaines de fonctionnaires fédéraux, incluant ceux qui décident de certaines politiques.

M. Bruyea a découvert le pot aux roses en parcourant les 14 000 pages qui lui ont été remises à la suite d'une requête qu'il avait lui-même déposée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Il avait entrepris la démarche en 2007 après que le ministère lui ait refusé certaines assurances médicales.

Au fur et à mesure qu'il feuilletait le rapport, Sean Bruyea s'est senti de plus en plus alarmé. Il a consenti à en fournir une copie à La Presse Canadienne en permettant à l'agence d'en transcrire des extraits.

«Il existe une culture au sein de ce ministère. (Les gens qui y travaillent) pensent qu'ils ont le monopole et qu'ils peuvent décider du sort des anciens combattants - invalides ou pas - et de leur famille», a plaidé M. Bruyea lors d'une entrevue.

«Ils estiment qu'ils n'ont pas à tenir compte des recommandations des vétérans, a-t-il ajouté. Cette arrogance et ce paternalisme (...) se sont rendus jusqu'au point où ils croient qu'ils peuvent manipuler les dossiers médicaux sans avoir la permission des anciens combattants et de les envoyer n'importe où et à n'importe quoi.»

«Et ils pensent avoir raison de le faire.»

Sean Bruyea a déposé une plainte formelle au commissaire à la vie privée du gouvernement, qui poursuit l'enquête. Il s'est également adressé aux tribunaux en invoquant une violation de ses droits en vertu de la Charte canadienne.

M. Bruyea croit s'être fait des ennemis chez les libéraux en dénonçant avec vigueur le sort qui était réservé aux vétérans de guerre blessés alors que des fonctionnaires travaillaient à l'élaboration de la nouvelle Charte des anciens combattants en 2005.  En prenant le pouvoir en janvier 2006, les conservateurs avaient hérité du dossier.

Les inquiétudes dont Sean Bruyea avait fait part au gouvernement libéral de Paul Martin à l'époque - à savoir le remplacement des pensions qui étaient versées à vie aux soldats blessés par des paiements forfaitaires et une allocation de soutien - ont fini par rattraper le gouvernement conservateur, qui s'est récemment retrouvé dans l'embarras à ce sujet.

Le 17 août, l'ombudsman des vétérans Pat Stogran a en effet déploré cette substitution, déclenchant une mini-tempête politique estivale.

Le colonel à la retraite Michel Drapeau, un avocat spécialisé en droit relatif à la protection de la vie privée, a été stupéfié lorsqu'il a pris connaissance de ces documents.

D'après lui, le cas de Sean Bruyea constitue l'une des pires atteintes au droit à la vie privée depuis des décennies - une violation «complètement, complètement illégale» de la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels.

«Il est clair que les notes de synthèses (présentées au ministre) constituaient une façon d'entacher sa réputation, une façon de le considérer comme une personne instable qui ne peut se prononcer avec assurance et pertinence sur le sort des anciens combattants», a soutenu Michel Drapeau lors d'une entrevue qu'il a accordée mardi.

En fin de soirée, une porte-parole de M. Blackburn a indiqué que le ministre était au courant du rapport «mais qu'il ne le commenterait pas mardi soir».