Il est essentiel que les juges de la Cour suprême du Canada soient bilingues, a réitéré mardi le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser.

Le commissaire s'est prononcé sur cette question, qui fait actuellement l'objet de nombreux débats, à l'occasion du dépôt du premier volume de son rapport annuel 2009-2010 sur l'état des langues officielles. Il a ainsi réfuté l'argument du gouvernement conservateur selon lequel une exigence de bilinguisme réduirait indûment le bassin de candidats potentiels à la Cour suprême.

M. Fraser a expliqué que ce même argument avait été soulevé à tort il y a 40 ans lors de l'introduction de la Loi sur les langues officielles. «À ce moment-là, on a dit que ce serait la fin des emplois pour les gens de l'Ouest» dans la fonction publique canadienne, a rappelé M. Fraser.

Citant une liste de citoyens de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba qui ont accédé à des postes-clés, dont celui de juge en chef de la Cour suprême, il a conclu: «je m'excuse, ça n'a pas été une barrière pour les gens de l'Ouest».

Le député néo-démocrate Yvon Godin, qui siège au comité parlementaire sur les langues officielles, a d'ailleurs déploré une déclaration du ministre du Patrimoine et des langues officielles, James Moore, faite mardi matin en comité.

Il y a déclaré que l'exigence du bilinguisme des juges de la Cour suprême divise le pays. Lorsque interrogé par des journalistes mardi, il a réitéré ce commentaire, ajoutant que «la Cour a servi le pays pendant 143 ans sans ce projet de loi (qui cherche à imposer le bilinguisme pour les juges). Ce n'est qu'un jeu politique du NPD avec le Bloc qui ne cherchent qu'à diviser les Canadiens et qui n'est pas dans le meilleur intérêt des Canadiens».

M. Godin a vertement dénoncé cette position.

«La Cour suprême est là pour donner des services aux citoyens et non, et non, pour donner juste des appointements aux avocats et aux juges. Ça démontre qu'on a encore beaucoup de chemin à faire», a-t-il affirmé.

Dans son rapport intitulé «Au-delà des obligations», M. Fraser a aussi déploré l'approche de laisser-faire du gouvernement Harper, surtout en ce qui a trait à la langue de travail des fonctionnaires fédéraux, qui communiquent en anglais, plus souvent qu'autrement.

Il demande ainsi aux dirigeants de la fonction publique d'affirmer un plus grand leadership pour pallier les lacunes et pour compenser pour le laxisme du gouvernement.

Selon ce que le commissaire a constaté, des fonctionnaires francophones ont toujours de la difficulté à travailler en français et à obtenir des réunions bilingues.

Bien que depuis 1988 les employés du gouvernement fédéral dans certaines régions du pays ont le droit de travailler en français ou en anglais, le commissaire a constaté qu'en 2010, seulement 67 pour cent des francophones disent se sentir à l'aise d'intervenir en français dans les réunions.

M. Fraser dit avoir mis l'accent sur le bilinguisme de la fonction publique parce qu'il s'inquiète, avec tous les départs à la retraite des fonctionnaires, que la relève ne soit pas suffisamment bilingue.

Le gouvernement Harper est montré du doigt dans le rapport. Le commissaire souligne qu'il est loin d'avoir un comportement exemplaire quant à la façon dont il traite ses propres employés.

«Les gestionnaires ne se rendent pas compte que le maintien d'une culture de travail qui, dans bien des cas, est totalement unilingue nuit aux efforts de la fonction publique visant à offrir des services bilingues de qualité à la population», a déclaré Graham Fraser.

Le député du Bloc québécois Richard Nadeau, qui siège également sur le comité aux langues officielles, va plus loin à ce sujet. Il affirme que «le gouvernement conservateur ne fait que du maquillage. Si on gratte le bois, on constate qu'il est pourri.»

La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada partage l'inquiétude du commissaire quant au manque de leadership du gouvernement conservateur. «Lorsque le leadership est insuffisant et qu'on considère la loi simplement comme une série d'obligations, on voit des institutions fédérales qui se contentent de faire le strict minimum. Le commissaire aux langues officielles fait écho à ce message en parlant d'approche de laisser-faire», déclare la présidente de la FCFA, Marie-France Kenny.

Constatant le recul constant du français au pays et le peu d'améliorations apportées au cours des années, des députés des trois partis d'opposition ont affirmé que le commissaire aux langues officielles devrait avoir un pouvoir de sanction pour donner du mordant à la Loi sur les langues officielles, ce qu'elle n'a pas actuellement, selon eux.

«Le commissaire devrait avoir des dents et des griffes pour que le gouvernement donne l'exemple, a affirmé M. Nadeau. Quand on a des sous-ministres qui ne sont pas obligés d'être bilingues, on ne donne pas l'exemple.»

Le fait que des organismes communautaires doivent souvent payer avec leurs propres cartes de crédit pour offrir des services essentiels parce que le financement arrive en retard a été dénoncé par le commissaire, tout comme la réduction du personnel - d'une soixantaine à une douzaine d'employés - du Centre d'excellence en langues officielles qui offre des avis d'experts aux ministères et institutions fédérales qui cherchent à appliquer correctement la loi.

Les évaluations de rendement et les plaintes formulées au sujet du non-respect des deux langues officielles - dont les 76 plaintes découlant des Jeux olympiques d'hiver de Vancouver - feront l'objet de rapports distincts qui seront déposés à l'automne.