Brisant pour la première fois le silence depuis les allégations qui circulent à son sujet, l'ex-député conservateur Rahim Jaffer a nié en bloc les accusations voulant qu'il ait mené des activités de lobbying auprès du gouvernement de Stephen Harper, lors de sa comparution fort attendue en comité parlementaire mercredi.

Mais dès la première ronde de questions des membres du comité sur les opérations gouvernementales, M. Jaffer s'est fait prendre au piège par le contenu de son propre site Internet.

Et s'il pouvait s'attendre à ce que ses anciens collègues conservateurs soient tendres à son égard, l'ancien député de l'Alberta a rapidement dû déchanter: l'accusant d'avoir nui à la réputation de la classe politique au grand complet, les conservateurs ont dû se rendre à l'évidence, documents à l'appui, que la parole de M. Jaffer pouvait être mise en doute.

Au coeur d'un scandale qui enflamme les Communes depuis des semaines, les enquêtes de deux quotidiens torontois ont rapporté que M. Jaffer aurait fait du lobbying auprès du gouvernement, sans les accréditations requises.

Accompagné de son associé, Patrick Glémaud, M. Jaffer est venu défendre les activités de sa compagnie, Green Power Generation, qui se spécialise en technologie durable et en projets d'énergie renouvelable.

S'il offrait des conseils et des informations à ses clients sur la façon d'obtenir du financement pour des projets environnementaux auprès du gouvernement, ni lui, ni l'un des directeurs de sa compagnie n'a jamais accepté d'argent, sous quelque forme que ce soit, de la part du fédéral, a soutenu M. Jaffer d'entrée de jeu.

L'objectif de sa société, qu'il a fondée après sa défaite aux élections de 2008, n'était en aucun cas de faire du lobbying auprès du gouvernement, a-t-il martelé.

M. Jaffer a même affirmé n'avoir jamais reçu de rémunération d'aucun de ses clients pendant la première année d'activité de sa compagnie, mais que le financement serait entièrement venu de lui et de M. Glémaud.

Et lorsqu'il a rencontré des membres du Parlement, c'était simplement pour prendre des nouvelles les uns des autres, puisqu'il ne siège plus aux Communes depuis 2008.

«D'aucune façon n'avais-je planifié de faire du lobbying avec notre compagnie, sinon oui, je me serais inscrit comme lobbyiste», a plaidé M. Jaffer à maintes reprises.

Or, dans sa biographie présentée sur son site Internet personnel, qui a depuis été fermé, M. Jaffer affirmait qu'en tant que fondateur de Green Power Generation, il offrait son expertise en financement industriel aux compagnies «afin de les aider à obtenir l'appui du gouvernement canadien».

Après avoir nié catégoriquement que ces propos se soient retrouvés sur son site, personnel ou professionnel, M. Jaffer a été obligé d'avouer la vérité, confronté aux photocopies distribuées par les libéraux.

Ce mensonge a fait tiquer ses anciens collègues conservateurs, qui lui avaient eux-mêmes posé la question.

«Ce qui me dérange plus que tout c'est que nous vous avons devant le comité, vous avez déclaré quelque chose comme un fait, et j'ai quelque chose qui m'indique autre chose de différent», a déploré le conservateur Chris Warkentin.

«Vous devez comprendre que ce genre de comportement souille tous nos noms», a-t-il lancé.

«Ca ne dit pas que nous allons l'obtenir, ça ne dit pas que nous avons la capacité de l'obtenir, ça dit que nous allons aider. Et il n'y a rien de mal là-dedans», a rétorqué M. Jaffer, à sa sortie du comité.

Quant aux allégations mises de l'avant par un homme d'affaires qui se serait vanté des portes que pouvait ouvrir M. Jaffer au cabinet du premier ministre (CPM), il les a vivement niées elles aussi. L'ex-député a soutenu qu'il avait choisi de ne pas faire affaire avec Nazim Gillani parce qu'il ne sentait pas de synergie avec sa compagnie.

«Vous êtes parti en sentant qu'il n'y avait pas de synergie et avec votre poche pleine de cocaïne, tandis que lui est parti avec l'idée que vous alliez être de grands partenaires d'affaires, c'était «en avant toute', prochain arrêt CPM», a répliqué le néo-démocrate, Pat Martin, en faisant allusion à la fin de soirée de M. Jaffer le soir du 11 septembre.

Ce soir-là, M. Jaffer a été accusé de conduite en état d'ébriété et de possession de cocaïne. Ces chefs d'accusation ont toutefois été abandonnés et M. Jaffer a finalement plaidé coupable à une accusation de conduite imprudente.

«J'ai été imprudent, j'ai pris quelques verres et je n'aurais jamais dû prendre le risque de conduire (...) j'ai appris ma leçon», a-t-il reconnu, s'excusant pour la première fois depuis l'incident, tout en affirmant n'avoir jamais consommé de substance illégale.

L'opposition a aussi questionné les témoins sur trois propositions d'affaires qui ont été soumises à Brian Jean, le secrétaire parlementaire du ministre des Transports, responsable d'un fonds vert. Les députés cherchaient à savoir si l'une des compagnies concernées était celle que Mme Guergis a tenté de faire valoir auprès d'un conseiller municipal de sa circonscription, en Ontario.

MM. Jaffer et Glémaud ont toutefois refusé de répondre.

Or, si les deux hommes se défendent d'avoir fait du lobbyisme, l'opposition n'en croit rien. Car, d'une part, les Canadiens moyens n'ont pas accès aux secrétaires parlementaires, a souligné la libérale Siobhan Coady.

«Quel est l'avantage de faire affaire avec Rahim Jaffer, ancien président du (caucus du) Parti conservateur alors? (...) Ca ne tient pas debout», a dénoncé le bloquiste Michel Guimond.

Emu, la voix tremblante, M. Jaffer a par ailleurs tenu à s'excuser auprès des membres de sa famille, et surtout de son épouse, l'ancienne ministre d'Etat à la Condition féminine, Helena Guergis, qui ont été mêlés à cette affaire malgré eux.

D'autres allégations, qui n'ont pas été non précisées par le gouvernement, ont poussé le premier ministre Stephen Harper à exclure la femme de M. Jaffer du caucus conservateur et accepter sa démission à titre de ministre, il y a deux semaines.

Parmi les rumeurs qui ont circulé, outre les possibles activités de lobbying de M. Jaffer, lui-même et Mme Guergis se seraient réservés trois sociétés à numéro au Belize pour des fins d'évasion fiscale. Un autre mensonge, selon M. Jaffer.