Même si le gouvernement conservateur martèle aux Communes depuis des semaines que Droits et Démocratie est un organisme indépendant, le président de l'institution, nommé par les troupes conservatrices, a soutenu jeudi que cette dernière devait suivre la politique étrangère du Canada.

Citant la loi constitutive de l'organisme, le nouveau président, Gérard Latulippe, a fait valoir, de passage en comité parlementaire jeudi midi, que les activités du centre «doivent se conformer aux principes essentiels de la politique étrangère canadienne».

«Les activités et le financement du centre ne doivent pas venir contredire la politique étrangère du Canada, peu importe le parti au pouvoir», a-t-il poursuivi.

Cette citation ne se trouve toutefois pas dans le libellé de la Loi sur le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, adoptée en 1988 et qui a créé l'organisme. On y lit simplement que «le conseil doit être au fait de la politique canadienne étrangère».

Selon M. Latulippe, joint par téléphone en après-midi, il s'agirait en fait des propos tenus par le ministre des Affaires étrangères de l'époque, au moment du dépôt du projet de loi.

Et cela ne contredit pas le mandat de Droits et Démocratie, a-t-il plaidé. Le ministère dresse ses politiques, et l'organisme adopte des programmes qui défendent la Charte internationale des droits et libertés de la personne. M. Latulippe n'a cependant pas été en mesure d'indiquer si l'organisme pourrait adopter un tel programme, s'il allait à l'encontre de la politique canadienne.

«Les valeurs des Chartes des libertés de la personne ne sont pas contradictoires avec la politique extérieure du Canada, et ne le seront jamais. Ce sont nos valeurs canadiennes», a-t-il souligné, devant le comité des affaires étrangères.

Mais si une telle situation se présentait, l'organisme «doit quand même fonctionner dans le cadre des grandes lignes de la politique extérieure du Canada», a-t-il précisé, lors d'une entrevue téléphonique.

Le conflit qui s'envenime à Droits et Démocratie porte notamment sur le financement de trois organismes qui ont critiqué Israël. Ceux-ci se sont fait retirer leurs fonds, à une époque où les membres du conseil d'administration tentaient de pousser l'institution à s'éloigner de tout groupe qui critiquait l'Etat hébreu.

Le débat a fait son chemin jusqu'à la Chambre des communes, où l'opposition dénonce le changement de mandat de cette institution, qui se voulait à l'origine indépendante, et attribue ce virage à un ordre venu du fédéral.

«On est allé le chercher (M. Latulippe) pour faire le travail», a estimé la porte-parole bloquiste en matière d'affaires étrangères, Francine Lalonde, à sa sortie du comité.

Le gouvernement de Stephen Harper argue cependant que l'institution demeure indépendante.

Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, n'était pas disponible jeudi pour commenter le mandat de l'organisme. Mais après que le ministre se soit avancé, à la mi-mars, dans le même sens que les propos tenus jeudi par M. Latulippe, son bureau avait tenté de corriger le tir auprès de La Presse Canadienne.

La sortie du président vient contredire la ligne des conservateurs. Ainsi que la position de ses prédécesseurs, qui pouvaient avoir un point de vue différent de celui du gouvernement, selon le néo-démocrate Paul Dewar. «Parce qu'ils font la promotion des droits de la personne, et c'est ça leur mandat», a-t-il affirmé.

M. Latulippe a d'autre part énuméré quelques factures de frais légaux, de vérificateurs judiciaires, de firmes de communications ou d'enquêteurs privés, qui se sont accumulées depuis l'arrivée de son prédécesseur, le président par intérim Jacques Gauthier, entré en poste à la mi-janvier. Celles-ci s'élèveraient à près de 400 000 $, en 66 jours, selon les estimations du nouveau président.

La crise au sein de l'organisme a été déclenchée par un contentieux sur l'octroi de trois bourses de 15 000 $ à deux groupes jugés comme étant critiques à l'endroit d'Israël.

«La disproportion est flagrante (...) Quand il s'agit de changer l'idéologie de Droits et Démocratie, on ne regarde pas à l'argent», a déploré Mme Lalonde.

Loin d'être satisfaits des réponses qui leurs ont été offertes, les députés d'opposition qui siègent au comité ont dû faire preuve de patience, puisque M. Latulippe ne leur a dit que ce qu'il voulait bien dire.

«Je n'ai jamais vu un témoin qui n'était pas prêt à répondre tout simplement à des questions très spécifiques sans me donner un discours sur tous les pays qu'il a visité», s'est notamment impatienté le critique libéral aux affaires étrangères, Bob Rae.

D'anciennes déclarations sont venues hanter M. Latulippe, lui qui s'était prononcé contre le mariage entre conjoints de même sexe, pour la peine de mort et qui avait affirmé que l'immigration en provenance de pays musulmans nuisait au bon fonctionnement de la société québécoise.

Questionné à cinq reprises au comité à savoir si ses opinions sur le sujet avaient changé, M. Latulippe n'a jamais répondu.

Plaidant le devoir de réserve qui vient avec son nouveau poste, il a continué de refuser, en entrevue téléphonique, de désavouer ses sorties antérieures.

«Je dis que je ne veux pas ni en discuter, ni les nier, ni pas les nier. Je n'ai pas à les débattre aujourd'hui. C'est mon obligation de ne pas le faire», a-t-il fait valoir.