Confronté de nouveau aux demandes répétées de l'opposition, le gouvernement du Canada a demandé à un ancien juge de la Cour suprême de trancher le débat quant au contenu des documents sur les détenus afghans qui peut être rendu public.

Mais selon l'opposition, ce n'est qu'une façon pour les conservateurs de gagner du temps.

«Le gouvernement a trouvé une nouvelle tactique dilatoire», a dénoncé le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, lors de la période des questions, vendredi.

Libéraux, bloquistes et néo-démocrates réclament depuis plusieurs mois des documents contenant de l'information sur le traitement de détenus afghans transférés par l'armée canadienne aux autorités locales.

À peine revenus des vacances forcées par la prorogation, les trois partis sont revenus à la charge vendredi en remettant la question à l'ordre du jour.

Cet automne, le diplomate Richard Colvin avait affirmé, de passage devant un comité parlementaire, avoir soumis une série de rapports dès 2006 à ses supérieurs dans lesquels il s'inquiétait de la torture de détenus afghans.

L'opposition tente depuis de mettre la main sur ces dossiers, afin d'élucider si le fédéral était au courant des risques de torture. Mais le gouvernement de Stephen Harper a refusé jusqu'à maintenant de leur fournir des copies non censurées, plaidant qu'il s'agit de protéger la sécurité nationale.

Au mois de décembre, le Parlement a cependant ordonné la publication des documents grâce à un vote de l'opposition majoritaire. Et en début de semaine, le libéral Derek Lee a fait savoir qu'il prévoyait soulever la question en Chambre, dans les jours à suivre, et demander au président d'accuser le gouvernement d'outrage au Parlement, puisqu'aucun document n'a été présenté aux parlementaires.

Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, lui a toutefois coupé l'herbe sous le pied, en annonçant dès l'ouverture des travaux des Communes, vendredi matin, avoir confié le débat au juge Frank Iacobucci.

«Il se prononcera à savoir si les ratures proposées (des documents) se rapportent véritablement à des informations qui pourraient être préjudiciables à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux intérêts des relations internationales du Canada», a-t-il expliqué.

«Advenant qu'il y ait des informations préjudiciables, il m'indiquera si cette information ou un résumé peut être divulgué et sous quelle forme et en vertu de quelles conditions», a détaillé le ministre.

Le juge Iacobucci remettra son rapport à la Chambre, mais le gouvernement n'a pas précisé à quel moment.

Or, selon l'opposition, il ne revient pas à un juge, si compétent soit-il, de décider du contenu qui peut être livré à des parlementaires.

«Je ne vois pas en quoi un juge serait mieux placé que les membres du comité sur l'Afghanistan et les membres de la Chambre des communes pour décider ce dont a besoin le comité pour faire la lumière sur cette affaire», a affirmé le leader parlementaire du Bloc québécois, Pierre Paquette.

«En demandant à une tierce partie de faire le travail du gouvernement, personne ne peut s'y opposer, mais j'aurais cru que le gouvernement comptait déjà des personnes capables de déterminer quels documents doivent être protégés», a pour sa part estimé le député Lee, suite à l'annonce du ministre.

Le Parti libéral a affirmé vouloir voir le mandat exact du juge Iacobucci avant de décider s'il accepte la manoeuvre.

Le ministre Nicholson a répliqué qu'il avait très peu de détails à offrir pour l'instant, parce que la décision de faire appel au juge Iacobucci est toute fraîche. Mais il s'est engagé à fournir ces réponses «aussi rapidement que possible».

«C'est une demi-mesure, ad hoc, improvisée un vendredi matin pour éviter d'ailleurs un ordre du Parlement de produire les documents», a lancé le libéral Dominic LeBlanc, en réclamant du même souffle que le gouvernement confie plutôt au juge Iacobucci le mandat de mener une enquête publique.

Pour les néo-démocrates, cette annonce surprise du ministre démontre que les conservateurs ne sont pas de bonne foi.

«Ce n'est pas une bonne façon de montrer que nous travaillons ensemble (...) L'ordre de la Chambre était de donner accès aux documents. S'il (le ministre) voulait travailler avec le Parlement, il nous aurait consulté sur cette question», a déploré le porte-parole du NPD en matière d'affaires étrangères, Paul Dewar.

Le néo-démocrate tenait un point de presse en matinée pour annoncer qu'il patienterait jusqu'au 19 mars pour obtenir une réponse du ministre Nicholson, auquel il a demandé il y a plus de trois mois de se prononcer sur papier et de façon définitive pour savoir s'il se pliera à la demande de l'opposition et fournira les documents.

Après quoi les néo-démocrates pourraient à leur tour entreprendre des démarches pour accuser certains conservateurs d'outrage au Parlement.