Allégations de torture de prisonniers en Afghanistan, piètre performance à Copenhague, crise à Droits et Démocratie, imputabilité; les partis de l'opposition attendent de pied ferme le gouvernement, accumulant les questions restées sans réponse.

Après environ trois mois de congé forcé, les parlementaires canadiens reprendront leur siège mercredi, pour une session qui s'annonce agitée. La décision du premier ministre Stephen Harper de proroger le Parlement au milieu des vacances des Fêtes, le 30 décembre, a soulevé la colère de l'opposition.

 

Le NPD de Jack Layton proposera d'ailleurs d'entrée de jeu de revenir sur cette deuxième prorogation en un an.

«Nous demandons un débat d'urgence sur l'utilisation de la prorogation comme outil pour éviter d'avoir à rendre des comptes, explique M. Layton. Le premier ministre a essayé d'éviter l'imputabilité imposée par les débats, la période des questions et le travail des comités.»

Néo-démocrates et libéraux ont déjà annoncé, en janvier, leur intention de déposer des projets de loi pour encadrer l'utilisation de la prorogation.

Déjà, au moment de suspendre les travaux, le 10 décembre dernier, le mécontentement de l'opposition était à son comble. Pris au coeur de la controverse entourant les allégations de torture de prisonniers afghans, le gouvernement conservateur refusait de remettre les documents controversés dont a fait état le diplomate Richard Colvin dans son témoignage qui avait mis le feu aux poudres, un mois auparavant.

«Le premier ministre trouvait le sujet trop délicat. Il n'y avait aucune réponse. Les Canadiens devenaient de plus en plus sceptiques quant à la crédibilité et à l'honnêteté du gouvernement. Le premier ministre a voulu fermer le Parlement pour faire redescendre la pression», analyse le leader parlementaire du Parti libéral, Ralph Goodale, qui promet de remettre le dossier à l'avant-scène.

Toujours en décembre, le Canada s'est fait montrer du doigt par la communauté internationale pour sa piètre performance en environnement, à la conférence sur les changements climatiques.

«On n'a pas pu questionner le gouvernement sur son comportement à Copenhague. Je pense que dès les premiers jours, ça va faire partie des questions, soutient le leader parlementaire du Bloc québécois, Pierre Paquette. Le Canada est le seul pays à avoir réduit sa cible de réduction des gaz à effet de serre après la conférence de Copenhague, en la faisant passer de 20% à 17%. Et on parle toujours de cibles d'intensité plutôt que de cibles absolues de réduction, et de 2005 comme année de référence plutôt que 1990.»

La crise qui sévit à l'organisme Droits et Démocratie - y compris les accusations répétées d'ingérence politique -, le sort réservé à Omar Khadr, seul ressortissant occidental encore détenu à Guantánamo, et le cas d'Ahmad El-Maati, torturé en Égypte au su des autorités canadiennes, seront aussi parmi les dossiers qu'entend soulever le Bloc québécois.

Mais la joute ne s'annonce pas facile et les partis de l'opposition n'attendent pas de grandes avancées pour cette session parlementaire.

«Pour le moment, on a l'impression que tout ce que cherche à faire M. Harper, c'est gagner du temps jusqu'au moment où il pensera qu'il a suffisamment d'appuis dans la population canadienne pour déclencher des élections, estime M. Paquette. Alors j'ai l'impression que les conservateurs ont l'intention d'en faire le moins possible.»

Au Parti libéral, on va jusqu'à dire que «la montagne a accouché d'une souris», en prévision du discours du Trône de mercredi et du budget qui sera déposé jeudi.

«Le gouvernement a dit qu'il devait fermer le Parlement pour plus de deux mois afin de tout «recalibrer». Mais d'après ce qu'il a déjà annoncé aux médias à propos du discours du Trône et du budget, il n'y a rien vraiment qui a été «recalibré», soutient Ralph Goodale. Il ne veut pas présenter un nouveau programme législatif, il veut représenter les mêmes projets de loi qui sont morts au feuilleton le 30 décembre. Il n'y a donc rien de neuf non plus en matière de législation.»

Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a clairement indiqué la semaine dernière qu'il souhaitait ramener à l'ordre du jour les 14 projets de loi, morts au feuilleton, concernant la lutte contre la criminalité - pierre angulaire du programme des conservateurs de Stephen Harper.

«Le gouvernement veut accélérer les projets de loi contre le crime, qui ont été retardés à cause de la prorogation, mais c'est leur faute si leur programme n'est pas en place rapidement», rétorque Jack Layton.

Seuls les projets de loi émanant des députés (souvent de l'opposition) reviennent au même point où ils se trouvaient avant la prorogation, y compris le projet de loi C-311 sur la responsabilité en matière de changements climatiques, du NPD, qui forcerait le gouvernement à adopter des cibles de réduction des gaz à effet de serre beaucoup plus contraignantes.

Enfin, pour rattraper le temps perdu, le gouvernement conservateur a proposé, en février, d'abolir pour cette session deux semaines de relâche parlementaire en mars et avril. Si l'ensemble des partis de l'opposition juge qu'il aurait été nettement préférable de rentrer au travail, comme prévu, le 25 janvier, seul le NPD n'a pas encore annoncé s'il acceptait la motion, qui doit être adoptée à l'unanimité.