Les critiques continuent de pleuvoir sur Stephen Harper, à la suite de sa décision de proroger le Parlement. Jeudi, le très influent magazine The Economist a ajouté sa voix à celles de dizaines de milliers d'internautes sur Facebook et aux résultats de nouveaux sondages, qui indiquent qu'une majorité de Canadiens désapprouvent le geste du premier ministre.

Dans un éditorial au ton accusateur, la publication britannique au rayonnement mondial a accusé M. Harper d'avoir agi selon ses propres intérêts en demandant à la gouverneure générale de fermer le Parlement jusqu'au 3 mars, plutôt que jusqu'à la fin janvier, comme le prévoyait le calendrier parlementaire.

«Il semble que les ministres canadiens soient une bande de Gerald Ford, a raillé l'éditorial d'entrée de jeu. Comme le président américain qui ne pouvait marcher et mâcher de la gomme en même temps, ils ne peuvent, apparemment, prendre part aux délibérations du Parlement tout en faisant face aux difficultés économiques du pays et au défi d'être l'hôte des Jeux olympiques d'hiver.»

Selon l'hebdomadaire, qui a publié pas moins de deux articles sur le sujet dans son numéro d'jeudi, la manoeuvre de M. Harper vise d'abord à éviter d'être talonné à la Chambre des communes sur la torture de détenus en Afghanistan et sur ses politiques environnementales, de même qu'à attendre sa majorité au Sénat un peu mieux protégé de ses adversaires.

«M. Harper est un tacticien compétent et sans pitié, a conclu The Economist. Il empêche la plupart des ministres de parler aux médias ; il a limogé des chiens de garde indépendants, il a relégué aux oubliettes des promesses de rendre le gouvernement plus ouvert et responsable. Voilà qu'il assujettit le Parlement à la bonne volonté du premier ministre.»

«Il a peut-être raison lorsqu'il dit que la plupart des Canadiens s'intéressent davantage à la luge qu'à la législature, mais c'est seulement vrai tant que leur système de gouvernement décent est entre bonnes mains. Ils pourraient conclure bientôt que ce n'est pas le cas.»

Sondages défavorables

Le magazine à peine sorti des presses, le Parti libéral a sauté sur ce coup de pouce inespéré. «Aujourd'hui, nous pouvons constater à quel point la décision de Stephen Harper endommage la réputation de notre pays dans le monde», a écrit le chef de cabinet de Michael Ignatieff, Peter Donolo, dans une note qui a circulé dans les rangs libéraux.

Au bureau du premier ministre Harper, on n'a pas voulu commenter ces propos. Un porte-parole s'en est tenu à dire qu'au cours des prochaines semaines, M. Harper et ses ministres mèneraient des consultations prébudgétaires dans tout le pays. «Nous continuons à mettre l'accent sur l'économie», a déclaré Andrew MacDougall. M. Harper, qui doit faire une annonce sur la sécurité aux frontières demain au Nouveau-Brunswick en compagnie du premier ministre de la province et de l'ambassadeur américain, mènera en après-midi à Saint-Jean une table ronde sur l'économie.

Or, les articles du Economist n'étaient pas les seules briques à s'abattre jeudi sur le bureau du premier ministre. Selon un sondage Ekos-CBC mené auprès de 1744 personnes dans les jours qui ont suivi l'annonce de la prorogation, les conservateurs ont baissé dans les intentions de vote depuis la mi-décembre, passant de 35,9% à 33,1%, alors que libéraux ont légèrement remonté, de 26,7% à 27,8%.

Selon un autre coup de sonde, mené en ligne par la firme Angus Reid pour le Toronto Star auprès de 1019 personnes les 5 et 6 janvier, 53 % des Canadiens désapprouvent la décision de Stephen Harper de proroger le Parlement. Une proportion semblable a été observée chez les électeurs conservateurs. Ces statistiques sont appuyées par l'enquête sur l'opinion d'Ekos-CBC, selon laquelle près de 58% des répondants s'opposaient à la prorogation.

«Ça pourrait être un tournant, a déclaré le président d'Ekos, Frank Graves, à l'émission Power and Politics de CBC. En ce moment, avec ces chiffres, (les troupes de Stephen Harper) sont plus près de se retrouver assises de l'autre côté de la Chambre que d'avoir une majorité. Elles sont à environ huit points d'avoir une majorité et à quatre ou cinq points de perdre les prochaines élections.»

Pendant ce temps, le nombre d'internautes inscrits dans un groupe Facebook qui dénonce le geste de M. Harper continue de croître. En fin de journée, jeudi, le site Canadians Against Proroguing Parliament (Canadiens contre la prorogation du Parlement), créé le 30 décembre, avait attiré près de 90 000 membres. Le site invite les gens à dire à leur député de «retourner au travail le 25 janvier», date initialement prévue pour la reprise des travaux de la Chambre des communes.