Rompant avec le devoir de réserve qu'il s'impose habituellement, Jean Chrétien estime que la décision du premier ministre Stephen Harper de se rendre en Chine d'ici la fin de l'année survient «trois ans trop tard».

Lundi à Paris, l'ex-premier ministre s'est inquiété des changements survenus dans la politique étrangère canadienne sous le gouvernement Harper (qu'il n'a pas nommé). Il a déploré que le Canada ait abandonné l'Afrique et négligé la Chine.

M. Chrétien a porté ce jugement dans une allocution devant l'association France-Canada, quelques heures avant de se rendre à Londres où il sera reçu mardi dans l'Ordre du mérite britannique, par la reine Elizabeth II.

Répondant à une question d'un participant sur l'image du Canada dans le monde, M. Chrétien, qui continue de parcourir la planète dans le cadre de ses activités professionnelles, a noté qu'elle était en recul.

«Notre politique étrangère a beaucoup changé. Malheureusement, nous avons disparu d'Afrique, nous avons perdu beaucoup de terrain en Chine et ce n'est pas bon», a-t-il poursuivi devant un petit groupe de journalistes canadiens qui l'interrogeaient après son discours.

M. Chrétien a rappelé que le Canada de Pierre Elliott Trudeau avait été le premier pays à reconnaître la Chine. Il a signalé aussi qu'il s'était rendu en Chine «huit ou neuf fois» dans les trois années qui avaient suivi son élection en 1993 et qu'il y avait conduit deux missions d'Equipe Canada.

«La Chine disait que le Canada était leurs meilleurs amis», a-t-il souligné.

Stephen Harper aurait l'intention de se rendre là-bas avant la fin de l'année. «Mieux vaut tard que jamais», a commenté Jean Chrétien.

«Apparemment, le premier ministre va y aller, mais c'est trois ans trop tard», a-t-il laissé échapper.

En Afrique aussi, Jean Chrétien estime que «la voix du Canada est beaucoup moins forte».

«On a fermé les ambassades. A Ottawa, dans la rue, je rencontre des ambassadeurs de pays qui ont encore des ambassades au Canada alors qu'on n'en a plus dans leur pays. C'est un peu gênant, non?», a-t-il demandé.

Depuis qu'il a quitté ses fonctions de premier ministre en 2003, Jean Chrétien est avocat et consultant international.

Devant une centaine de convives de l'association France-Canada, il a fait - sans notes ni discours écrit - un rapide tour d'horizon des relations franco-canadienne, avant de répondre aux questions de l'assistance. Retraité de la politique, il a prétendu que la seule chose qui lui manquait, c'était justement la période des questions des Communes et ses joutes oratoires avec l'opposition.

«M. Bachand, vous pouvez recommencer», a-t-il lancé à la blague à l'ancien député progressiste-conservateur André Bachand, depuis peu ambassadeur du Canada à l'Unesco et présent à la table d'honneur.

Acquis à sa cause, les membres de France-Canada, n'ont pas malmené Jean Chrétien, l'interrogeant sur la souveraineté canadienne dans l'Arctique et le modèle canadien d'immigration canadien, ou encore saluant sa «clairvoyance» pour avoir refusé une fusion des grandes banques canadiennes en 1995.

L'association France-Canada fait partie de France-Amériques, une organisation créée il y a exactement 100 ans. Elle se veut depuis «le point de rencontre privilégié des élites franco-américaines du monde de la diplomatie, des affaires, de la finance, de la recherche, de la défense, et de la culture».