Le ministère de l'Immigration a cherché à camoufler le passé controversé d'un nouveau membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), il y a huit mois.

Des documents obtenus par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information montrent en effet que le communiqué qui a annoncé la nomination de Pharès Pierre devait à l'origine mentionner qu'il avait été chef de cabinet du premier ministre dans le gouvernement Aristide entre 2002 et 2003.

Mais cette mention a été retirée du document définitif. «Il a obtenu un baccalauréat spécialisé en mathématiques, avec option en enseignement secondaire, ainsi qu'une mineure en administration et sciences politiques de l'Université du Québec à Montréal», s'est-on contenté d'annoncer le 17 février dernier.



Discussions en haut lieu


Le 10 mars dernier, des avocats montréalais spécialisés en droit de l'immigration ont dénoncé dans La Presse le fait que cet ancien haut placé du gouvernement Aristide soit susceptible d'entendre des demandes d'asile faites par des Haïtiens ayant justement fui ce régime.

Le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, avait lui aussi dénoncé cette nomination. Il s'était empressé de renvoyer la balle à la CISR et avait indiqué que, s'il avait été mis au courant du passé de M. Pierre, il n'y aurait jamais procédé.

Or, les documents que La Presse a obtenus soulignent qu'il n'est pas du ressort de la Commission de révoquer une nomination, mais bien du ministre. «Les articles 185 et 186 de la Loi sur l'immigration et le statut de réfugié indiquent les droits et les pouvoirs du gouverneur en conseil dans de tels cas», peut-on lire dans une note d'information destinée aux porte-parole de l'organisme.

Des courriels inclus dans les quelque 150 pages obtenues montrent également que le président de la CISR, Brian Goodman, a été mis au courant des antécédents de son nouveau commissaire le 20 février, soit trois jours après la publication du communiqué de presse qui annonçait sa nomination et huit jours après la signature du décret qui l'officialisait, mais 20 jours avant que la nouvelle de ces liens ne sorte publiquement dans La Presse.

«Je suggère, en prenant abondamment de précautions...» a d'ailleurs écrit le président dans un courriel envoyé à des hauts dirigeants de la commission... sans que l'on puisse en savoir davantage sur la nature de ces suggestions, puisque la suite du courriel a été censurée.

Le ministre au courant?

Compte tenu de ces nouvelles informations, se pourrait-il que le ministre Kenney n'ait pas été mis au courant de la situation avant le 10 mars, comme il l'a déjà affirmé ?

«C'est très difficile à croire», a tranché Thierry Saint-Cyr, le porte-parole du Bloc québécois en matière d'immigration, qui suit le dossier Pierre depuis le début.

«Dans tous les cas, il est très difficile de justifier cette nomination, a-t-il poursuivi. Il semble que rien d'autre que l'esprit partisan ne puisse l'expliquer.»

Une fois au Canada, Pharès Pierre s'est en effet engagé en politique fédérale dans le Parti progressiste-conservateur, ancêtre de l'actuel Parti conservateur. L'homme de 68 ans a été vice-président et trésorier du comité de direction dans la circonscription de Saint-Jean et vice-président de l'aile québécoise de ce parti.



«Troublé»


Mais M. Kenney n'a pas changé sa version des faits, hier. «Le ministre demeure troublé par cette nomination et préoccupé qu'un individu avec des liens avec le régime Aristide lui ait été recommandé par le CISR et ait passé les vérifications de sécurité au Bureau du Conseil privé», a déclaré son directeur des communications, Alykhan Velshi, dans un courriel envoyé à La Presse.

«Le ministre n'a été mis au courant des liens de M. Pierre avec le gouvernement Aristide qu'après que cette nomination eut été faite par le gouverneur en conseil», a-t-il ajouté.

Lorsqu'il avait été interrogé à ce sujet devant le comité parlementaire de l'immigration, le 10 mars dernier, M. Kenney avait déclaré : «Je n'étais pas au courant de ce fait. Je l'ai appris en lisant les journaux ce matin.»

M. Velshy n'a toutefois pas été en mesure de dire pourquoi son patron n'avait jamais tenté de révoquer cette nomination. «La nomination est faite. Il est maintenant commissaire», a-t-il simplement déclaré.

À la CISR, on a précisé que Pharès Pierre n'avait jamais examiné et n'examinerait jamais des dossiers de Haïtiens.

- Avec William Leclerc