Alors que les partis de l'opposition jugent inacceptable que le premier ministre annonce la fin de la production d'isotopes médicaux au pays, des experts blâment le gouvernement pour la pénurie actuelle et proposent des solutions toutes canadiennes.

Au milieu d'une crise d'approvisionnement sans précédent en isotopes pour les hôpitaux, Stephen Harper a confirmé, mercredi, que le Canada se retirerait d'une industrie dont il était, jusqu'à récemment, le chef de file.

«C'est épouvantable. Ça représente des pertes d'emplois, d'investissements, de propriété intellectuelle, de recherche et développement, de médecins», a estimé le critique libéral en énergie, David McGuinty, rappelant que le tiers des patients admis dans les hôpitaux canadiens utilisent la médecine nucléaire.

«C'est absolument idéologique. Le premier ministre ne croit pas que le Canada devrait être propriétaire d'une entreprise de nucléaire, a ajouté M. McGuinty. Il a été contraint d'annoncer avec des mois d'avance sa décision finale d'abandonner la production parce qu'on avait une crise immédiate à régler. M. Harper essaie d'éteindre le feu en tuant une industrie spécialisée dans les isotopes médicaux, où on est chef de file à l'échelle mondiale.»

En Chambre, M. McGuinty a accusé le premier ministre «de laisser tomber le monde entier».

40% de la production mondiale

Jusqu'à son interruption de service, à la mi-mai, le réacteur nucléaire de Chalk River, en Ontario, produisait en effet plus de 40% des isotopes médicaux utilisés dans le monde, notamment pour des examens et traitements du cancer et de maladies cardiovasculaires. Après avoir annoncé que les activités seraient suspendues pour un mois, Énergie atomique du Canada, qui gère l'installation, a admis que la panne durerait au minimum trois mois, voire davantage. Depuis, les associations médicales du pays ont sonné l'alarme: certains tests et traitements sont déjà retardés.

À peine deux semaines après l'arrêt de production, la ministre des Ressources naturelles, Lisa Raitt, annonçait la première étape - une consultation - vers une privatisation du volet commercial de l'industrie nucléaire, affirmant vouloir conserver les laboratoires scientifiques de Chalk River dans le giron gouvernemental, quitte à en déléguer la gestion au privé.

«C'est irresponsable et dangereux. Ça démontre que le gouvernement n'est pas intéressé par la santé des Canadiens», a estimé le député néo-démocrate Nathan Cullen, réagissant à l'annonce par M. Harper que le Canada se retirerait de la production de ces précieux atomes.

En comité parlementaire, hier, des experts et intervenants du milieu sont aussi venus affirmer que le gouvernement faisait fausse route en voulant mettre la clé sous la porte. «Je pense que ce serait un coup de poing pour la réputation du Canada, de ses scientifiques et de ses ingénieurs, de tout abandonner. Ce serait désastreux sur tous les points», a dit Michel Duguay, docteur en physique nucléaire et professeur à l'Université Laval.

Selon MDS Nordion, l'entreprise qui transforme et exporte les isotopes pour le milieu médical, ce sont les conservateurs de Stephen Harper qui sont à blâmer pour la pénurie. «La raison de la crise actuelle est la décision d'Énergie atomique du Canada et du gouvernement de mettre fin au projet Maple», a lancé le président de MDS Nordion, Steve West.