Les Rwandais n'auront plus à préciser s'ils sont hutus ou tutsis avant d'entrer au Canada. Sans tambour ni trompette, Ottawa a retiré, l'été dernier, les questions liées à l'appartenance ethnique des formulaires de visas canadiens pour les ressortissants du Rwanda. Il a agi ainsi en raison du tollé soulevé par ce sujet délicat dans ce pays d'Afrique, révèlent des documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

Un ministre rwandais, Joseph Habineza, s'était insurgé en avril 2008 de devoir déclarer son appartenance ethnique pour entrer au Canada. La nouvelle avait fait la une de journaux du Rwanda, qui avaient accusé le Canada de faire du «profilage ethnique».

 

Les conflits ethniques entre Tutsis et Hutus au Rwanda ont fait plus de 800 000 morts en 1994, dans le sang et la terreur.

Le Canada était un des rares pays à demander aux ressortissants rwandais d'indiquer leur groupe ethnique. À la suite du génocide, les autorités canadiennes ont jugé bon de faire remplir un formulaire supplémentaire aux visiteurs rwandais nés avant 1982, afin d'identifier les ressortissants qui auraient pu être impliqués dans des crimes de guerre ou des violations des droits de l'homme et de leur refuser l'accès au pays.

«Le gouvernement rwandais a, pendant plusieurs années, exprimé son inquiétude à propos d'une question à connotation ethnique dans le formulaire à remplir pour les ressortissants du Rwanda», explique l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), dans un document que La Presse a obtenu, pour justifier la décision du Canada de retirer ce champ.

La question de l'appartenance ethnique est d'ailleurs illégale dans le pays, car elle va à l'encontre de la Constitution rwandaise. Ainsi, pour les autorités, elle semblait «inappropriée» compte tenu des «pratiques coloniales qui ont entraîné les divisions ethniques au Rwanda», souligne-t-on à l'ASFC.

La décision a été prise après des discussions avec les ministères de l'Immigration, des Affaires étrangères et de la Justice, section des droits humains.

Le 29 mai 2008, les agents d'Immigration Canada et de l'Agence des services frontaliers ont été avisés de ne plus demander le groupe ethnique des ressortissants rwandais ni leur carte d'identité, dit le document.

En juillet, la question a aussi été éliminée du formulaire à remplir. Les responsables de l'ASFC ont jugé que «le retrait de cette question améliorera les relations bilatérales entre les deux pays», explique le document d'information.

«L'engagement du Canada envers les droits de la personne est inébranlable. À la suite de consultations avec les secteurs de programmes et les partenaires, il a été conclu de supprimer la question concernant l'ethnicité du questionnaire supplémentaire du Rwanda. Ce changement ne change pas le fait que les criminels de guerre sont inadmissibles au Canada», souligne Tracie Leblanc, porte-parole de l'ASFC.

«Les agents de l'immigration continueront à examiner les personnes au cas par cas, afin de juger de leur admissibilité au Canada», ajoute-t-elle.

En vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, les agents responsables de la délivrance des visas sont tenus de vérifier les antécédents des visiteurs, réfugiés ou immigrants, pour éviter de donner refuge à des criminels de guerre. La question du Rwanda pose un défi supplémentaire, soulignent les documents gouvernementaux, parce que des Rwandais de toutes les couches de la société et de tous les milieux sont soupçonnés d'avoir participé au génocide, qui n'a pas été perpétré uniquement par des groupes armés, comme dans d'autres conflits ethniques.

- Avec la collaboration de William Leclerc