Après avoir soutenu tout l'automne que le Québec échapperait aux déficits budgétaires que prévoyaient tous les autres gouvernements au pays, le gouvernement Charest a ajusté le tir hier. Deux mois après les élections, Monique Jérôme-Forget reconnaît que son prochain budget, fin mars, sera écrit à l'encre rouge.

«Le ministère des Finances a été extrêmement ébranlé par ce qui s'est passé en janvier», a soutenu hier Mme Jérôme-Forget, «défenderesse du déficit zéro». Elle reconnaît désormais que l'année 2009-2010 sera déficitaire. Aucune «coupe drastique» ne sera faite dans les budgets sociaux, la santé et l'éducation», prévient-elle à l'avance, une annonce percutante qui a réussi à faire sortir du radar médiatique la saga de la Caisse de dépôt et placement.

 

Quelques minutes plus tôt, sa collègue au Trésor, Monique Gagnon-Tremblay, était bien plus alarmiste: «Pour moi l'important est de maintenir les services essentiels à la population.»

Hier, la firme d'évaluation de crédit Moody's soutenait que les provinces allaient traverser une période difficile. Selon leur expert, David Rubinoff, les provinces sont «capables d'absorber une hausse temporaire de dette résultant d'une baisse cyclique». Mais une récession pire que prévue, débouchant sur des problèmes structuraux, «pourrait nous pousser à revoir nos cotes actuelles», de prévenir Moody's.

Du côté de l'opposition péquiste, l'annonce d'un déficit l'an prochain a fait sourire: la crédibilité de la ministre des Finances est sérieusement amochée, estime François Legault. «Alors que partout dans le monde on annonçait des déficits, Madame Rigueur disait qu'il n'y avait pas de problème. Il n'y avait pas de problème non plus à la Caisse de dépôt», a ironisé le critique péquiste aux Finances. En campagne électorale le PQ avait reconnu qu'il y aurait deux années de déficit, conséquence du ralentissement de l'économie mondiale.

La ministre sur la défensive

Hier, Mme Jérôme-Forget s'est longuement retrouvée sur la sellette, se faisant rappeler ses déclarations de 2008. «Ce qui est arrivé en janvier, personne ne l'avait prévu, cette tempête qu'on traverse est une situation bien particulière», insiste-t-elle, refusant de spéculer sur une glissade des revenus dans les mois prochains. «En novembre, j'estime avoir annoncé l'heure juste. Il y a eu une détérioration brutale en janvier. Il s'est passé quelque chose d'extrêmement surprenant» a-t-elle précisé. Depuis le début de l'année 2009, les ventes au détail ont fondu. Les chiffres des Finances montrent aussi que les recettes venues des impôts des corporations et des individus ne sont pas au rendez-vous.

«Nous sommes en récession. C'est moins pire au Québec qu'en Ontario ou en Alberta», a soutenu Mme Jérôme-Forget qui, en novembre 2008, disait «il n'y aura pas de récession, il y aura une croissance réduite par rapport à ce qu'on a connu dans le passé». «Quand vous faites un énoncé économique vous n'allez pas affoler les gens», expliquait-elle hier. Ottawa, l'automne dernier, était pris avec la baisse du prix du pétrole et l'Ontario était confronté à la dépression dans l'automobile.

À l'époque, le gouvernement fédéral et plusieurs provinces annonçaient déjà que leur prochain budget serait déficitaire. À la veille de la campagne électorale, le gouvernement Charest avait un tout autre discours; le Québec échapperait au déficit grâce à la clairvoyance qui l'avait poussé à engager, très tôt, un vaste programme de réfection des infrastructures.

Le programme avait été lancé en fait après les recommandations de la commission d'enquête sur l'effondrement du viaduc de la Concorde.

Même si Ottawa annonce dès maintenant quatre années déficitaires, Mme Jérôme-Forget refuse de spéculer au-delà du prochain budget. L'automne dernier, la ministre avait alors un surplus de 2,3 milliards qu'elle promettait d'utiliser pour arriver à l'équilibre en 2008-2009 et en 2009-2010. Hier, elle se contentait de dire qu'elle croyait bien pouvoir boucler l'année en cours sans déficit - Ottawa a décidé d'inscrire un déficit à son budget de fin janvier.

Elle n'a pas voulu spéculer davantage sur la possibilité qu'elle doive vider le Fonds des générations, mis en place il y a trois ans pour financer les dépenses du gouvernement.