La rentrée parlementaire d'aujourd'hui est la rentrée de tous les dangers. Les ingrédients d'une autre crise politique majeure au Parlement fédéral sont réunis. Malgré les appels de tous les partis politiques à la «responsabilisation» de chacun, il suffirait d'une seule petite étincelle pour mettre le feu aux poudres et plonger le pays dans un autre mélodrame politique.

Le discours du Trône que prononcera aujourd'hui la gouverneure générale, Michaëlle Jean, et le budget que déposera demain le ministre des Finances, Jim Flaherty, doivent, dans le meilleur des mondes, calmer les esprits et ralentir la tempête économique qui frappe le pays.

 

Mais quelques semaines après l'énoncé économique catastrophique qui, du jour au lendemain, a poussé le gouvernement minoritaire de Stephen Harper au bord du gouffre, nous sommes encore loin des certitudes. Le parti au pouvoir n'a dû son salut en décembre qu'à la prorogation du Parlement consentie par la gouverneure générale. En échange, le premier ministre a promis à la chef de l'État de présenter aux Canadiens un budget de crise viable et capable de relancer l'économie.

La coalition formée alors par le Parti libéral du Canada et le Nouveau Parti démocratique, appuyée par le Bloc québécois, n'est pas encore dissoute. Elle pourrait retrouver ses ailes si jamais le gouvernement Harper ne parvient pas répondre aux attentes de l'opposition.

C'est surtout sur les épaules du nouveau chef libéral, Michael Ignatieff, que repose la survie du gouvernement Harper. M. Ignatieff, qui a rencontré le premier ministre au début de la semaine dernière, a été très clair sur ses exigences: le budget devra protéger les plus vulnérables, et il devra non seulement sauver des emplois, mais en créer afin de façonner l'économie de demain.

Et puis, a ajouté avec insistance le chef libéral, le budget devra impérativement éviter de tomber dans un cycle de déficits structurels à long terme engendré par des «entourloupettes» fiscales irresponsables.

La crainte des déficits

Sur cette question, le ministre des Finances, Jim Flaherty, a promis mercredi dernier que son budget ne se limitera pas à annoncer un déficit budgétaire (qui atteindra 34 milliards de dollars, selon une source gouvernementale). Il contiendra, a-t-il promis, une stratégie de retour à l'équilibre budgétaire et des engagements financiers qui ne lieraient pas indéfiniment le Trésor public, des conditions sine qua non avancées par le Parti libéral pour maintenir en poste le gouvernement. Dans une entrevue à La Presse publiée samedi, le premier ministre Stephen Harper a confirmé cet engagement. Au cours des années 90, lorsqu'il a fallu assainir les finances publiques, les Canadiens ont fait de tels sacrifices qu'aujourd'hui ils ne veulent pas d'un retour aux déficits chroniques.

De plus, le traitement que réservera le grand argentier aux baisses d'impôt annoncées par Stephen Harper sera déterminant pour la suite des choses. Le NPD s'oppose à ces baisses d'impôt au motif qu'elles ne serviront que les riches et ne seront d'aucune utilité pour les pauvres, qui de toute façon ne paient pas d'impôt. Les libéraux estiment pour leur part que si ces baisses d'impôt sont modestes et destinées aux démunis, elles pourraient être acceptables.

Les baisses d'impôt, selon beaucoup d'économistes, sont de piètres stimulants de l'économie, contrairement aux investissements dans la création d'emplois et les infrastructures.

Dogme mis à mal

Ainsi les temps sont durs pour Stephen Harper. Il a dû se résigner à prendre des décisions à contre-courant du dogme conservateur, qui prône la non-intervention dans la vie économique du pays.

C'est pourquoi ce budget fédéral 2009-2010 revêt un caractère historique. Le gouvernement conservateur a dû aussi se rendre à l'évidence qu'il fallait mettre un terme à une décennie d'excédents budgétaires sans pour autant toucher au filet de sécurité sociale des Canadiens, qu'il fallait en somme mettre en veilleuse le contrat fiscal des 10 dernières années, un changement dont les contrecoups sont imprévisibles.

Il est vrai que M. Harper, face aux menaces concrètes de l'opposition, n'a guère le choix. Si son gouvernement est défait sur le budget de demain, ses jours à la tête de sa formation politique sont comptés. Le chef du gouvernement joue donc aussi son avenir politique.

Mais les dangers de cette rentrée ne sont pas que pour Stephen Harper et les conservateurs. Un échec gouvernemental aurait pour conséquence la prise du pouvoir par la coalition PLC-NPD ou encore le déclenchement d'élections générales. Ces scénarios retarderaient sérieusement la mise en place des mesures de relance de l'économie dont a besoin le pays et plongeraient à court terme les Canadiens dans une plus grande incertitude.

Une chose est certaine, le premier ministre ne pourra compter sur le Bloc québécois pour maintenir en poste son gouvernement.

«À Ottawa, en pleine crise économique, a déclaré le chef Gilles Duceppe la semaine dernière, nous sommes en plus confrontés à la volonté de Stephen Harper de priver le Québec d'un milliard de dollars en plafonnant la péréquation et de bafouer les compétences du Québec en matière de valeurs mobilières. Le gouvernement Harper laisse tomber les milliers de travailleurs, leurs familles et les régions et refuse toujours de venir en aide aux secteurs forestier et manufacturier. Et ça, ça fait deux ans que ça dure. Dans ce contexte, il faut parer au plus pressé et, à Ottawa, la meilleure option pour le Québec, c'est l'entente négociée par le Bloc québécois avec la coalition gouvernementale.»

La journée s'annonce mouvementée...