Des négociations entre des partis de l'opposition auront rarement attiré autant d'attention que celles qui ont cours en ce moment entre libéraux, bloquistes et néo-démocrates.

Elles auront une influence cruciale sur le rôle que la gouverneure générale, Michaëlle Jean, sera appelé à jouer dans cette crise politique exceptionnelle.

 

Si l'impasse n'est pas dénouée d'ici au 8 décembre, Michaëlle Jean sera forcée de décider si elle dissout la Chambre ou demande à l'opposition de gouverner.

Michaëlle Jean voudra sans doute éviter de se retrouver dans la même situation que l'un de ses lointains prédécesseurs, Lord Byng, qui avait refusé en 1926 et de dissoudre le Parlement comme le lui demandait Mackenzie King.

Lord Byng avait plutôt demandé à l'opposition conservatrice de former un nouveau gouvernement... qui n'avait tenu que trois jours avant d'être défait par un vote de confiance.

Michaëlle Jean n'a émis à ce jour aucun commentaire sur la crise. Elle est à l'extérieur du pays mais elle suit la situation de près, assure son entourage.

Sa prédécesseure, Adrienne Clarkson, a écrit dans ses mémoires, publiés en 2006, qu'elle aurait refusé de dissoudre le Parlement moins de six mois après les dernières élections.

Selon le constitutionnaliste Sébastien Grammond, il y a fort à parier que Michaëlle Jean aura la même interprétation des conventions.

«La gouverneure générale n'a pas à porter de jugement de nature politique, mais elle doit s'assurer que la coalition proposée par les partis n'est pas purement éphémère», ajoute-t-il.

Mais qui pourra convaincre Michaëlle Jean que la coalition est solide?

Selon toute vraisemblance, Jack Layton céderait la tête de cette coalition et le poste de premier ministre au chef du parti libéral en échange de l'assurance d'obtenir le tiers des postes de ministres, dont le plus important : les Finances. La Constitution canadienne permet aussi la nomination d'un premier ministre (libéral) secondé par un vice-premier ministre (néo-démocrate).

Reste donc à savoir quel libéral succéderait à Stephen Harper. Les scénarios ne sont pas si nombreux, mais aucun ne fait l'unanimité chez les politologues. Le professeur de l'Université d'Ottawa Michael Behiels est catégorique: «Ce sera Stéphane Dion. Il faudrait réussir à créer l'unanimité au sein du caucus libéral pour mettre en poste Bob Rae ou Michael Ignatieff, mais le délai est trop court pour y arriver et le moment n'est surtout pas aux querelles internes.»

Et Stéphane Dion?

Stéphane Dion a pourtant annoncé après sa défaite amère aux dernières élections qu'il quittera la tête du parti au mois de mai prochain. «Quand il a fait cette annonce, il n'y avait pas de crise. Tout a changé», dit M. Behiels.

Mais c'est avec autant d'aplomb que Christian Rouillard, politologue à l'Université d'Ottawa, opte pour Michael Ignatieff. «Stéphane Dion est en sursis; aucun parti n'a d'intérêt à appuyer sa candidature, pas même le Parti libéral», dit-il. Sévèrement critiqué pour son bilan économique à la tête de l'Ontario, Bob Rae ne serait pas un choix approprié, contrairement à Ignatieff, dont le CV est vierge à cet égard. «Sa popularité est aussi plus grande au Québec, ce qui renforcerait l'apparence d'entente avec le Bloc», dit M. Rouillard.

«On voit mal comment Gilles Duceppe pourrait appuyer Stéphane Dion après l'avoir autant attaqué pendant la dernière campagne», ajoute Hugo Cyr, de l'UQAM.

Il croit qu'un membre influent du parti qui n'est pas candidat à la direction du parti, comme Bill Graham, pourrait aussi prendre la tête de ce gouvernement hors du commun.

De son côté, la professeure de l'Université McGill Antonia Maioni n'ose même pas se risquer à prédire qui présidera les destinées du pays dans 10 jours.

«Ce qui se passe est inouï», dit-elle. Mme Maioni croit encore que la crise peut être dénouée, même si Gilles Duceppe a affirmé hier que le point de non-retour avait été franchi. Réponse dans les prochains jours.