Michaëlle Jean y est allée jeudi d'un ultime plaidoyer avant l'élection, vendredi, du prochain secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), exhortant les représentants des pays membres à refuser « que les organisations internationales soient utilisées à des fins partisanes » et les exhortant à ne pas laisser les « petits arrangements entre États » dicter la suite des choses.

« Au moment où nous marchons vers le 50e anniversaire de la Francophonie, demandons-nous ici à Erevan, en toute conscience et en toute responsabilité, de quel côté de l'Histoire nous voulons être », a argué dans une allocution ponctuée de sous-entendus la Canadienne, que tous voient s'incliner devant sa rivale, la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo.

« Sommes-nous prêts à accepter que les organisations internationales soient utilisées à des fins partisanes [...] Sommes-nous prêts à accepter que la démocratie, les droits et les libertés, soient réduits à de simples mots, que l'on vide de leur sens au nom de la realpolitik, de petits arrangements entre États ou d'intérêts particuliers ? », a-t-elle vigoureusement martelé.

Le Rwanda - une nation africaine dirigée de main autoritaire par le président Paul Kagame, que le premier ministre Justin Trudeau rencontrait tout juste après le discours de l'ancienne gouverneure générale - n'a pas un bilan particulièrement reluisant en matière de droits démocratiques et de liberté de la presse.

Malgré cela, la numéro deux du gouvernement de Kigali a réussi à décrocher l'appui de la France, principal bailleur de fonds de l'OIF, ainsi que le soutien d'une flopée de pays de l'Union africaine. Et le gouvernement canadien, après avoir appuyé Michaëlle Jean, a finalement renoncé et annoncé son intention de se rallier au consensus qui se dessine.

Hommage de Trudeau

Un peu plus tôt, le premier ministre Justin Trudeau avait rendu hommage à la candidate canadienne lors de l'allocution qu'il a prononcée en ouverture du XVIIe Sommet de la Francophonie jeudi, quelques heures avant que son sort ne se décide à Erevan - une politesse qu'a aussi rendue le président Macron.

« Je veux souligner quelqu'un d'extraordinaire, une amie (..) pour son travail remarquable à la tête de la Francophonie. Michaëlle s'est affirmée comme ardente défenseure des femmes, faisant notamment valoir leur droit à l'éducation et militant pour leur émancipation », a-t-il dit devant un parterre de chefs d'États et de gouvernements.

« Ses nombreuses réalisations, autant envers la jeunesse que pour les droits de la personne, ont enrichi non seulement notre grande organisation, mais notre monde. Elle donne une impulsion aux causes qui nous tiennent tous à coeur avec son dévouement et son énergie contagieuse », a ajouté le premier ministre.

Bon joueur, le président Macron a tenu à féliciter celle sur qui il n'a pas misé. « La Francophonie doit être cet espace qui se bat pour le droit des femmes - et je veux ici saluer le travail qui a été réalisé par Michaëlle Jean, à laquelle je rends hommage, qui s'est fortement mobilisée dans ce combat », a-t-il exposé vers la fin de son allocution d'une quarantaine de minutes.

« La Francophonie doit être féministe ! Et vous avez eu raison, madame la secrétaire générale, de ne rien céder à ce combat », a lancé le locataire de l'Élysée.

Lutte acharnée

Les chances de Michaëlle Jean d'être reconduite pour un second mandat à la tête de l'OIF sont considérées excessivement minces, voire nulles.

Des dirigeants africains ressentiraient cependant un certain malaise d'avoir en quelque sorte été placés devant le fait accompli, d'après une source bien au fait de la campagne à la direction.

Quelques-uns auraient même exprimé directement auprès de Michaëlle Jean qu'ils se retrouvaient dans une « posture impossible ».

Selon ce que rapportait mardi Radio France internationale (RFI), l'ancienne journaliste native d'Haïti espérait toujours pouvoir compter sur le soutien de quelque 17 à 18 délégations au sein de l'OIF vendredi. Le média base ces statistiques sur « un dernier pointage effectué mardi soir à Erevan ».

Hommage à Aznavour

À l'entrée du complexe Karen Demirdjian, où se tient le sommet de la Francophonie, la musique de Charles Aznavour, un fils de l'Arménie résonnait, jeudi.

Le sommet s'ouvrait quelques jours après le décès du monument de la chanson de descendance arménienne, et sa contribution à l'épanouissement de la langue française a été soulignée sur scène par le premier ministre Trudeau et le président Macron.

« Lorsque je suis arrivé en Arménie, j'ai tout de suite pensé à un grand homme que j'aimais énormément, un grand amoureux de la langue française qui s'est éteint la semaine dernière, l'incomparable Charles Aznavour », a déclaré le premier ministre du Canada.

« Dans les jours qui ont suivi son décès, les francophones et les francophiles du monde se sont unis dans le deuil à travers son oeuvre. Cet élan de solidarité était peut-être le plus grand hommage qu'on aurait pu lui faire », a-t-il ajouté.