Près de 40 observateurs indépendants mettront le cap dans les prochains jours sur Québec, La Malbaie et Bagotville. Leur travail : se rendre sur les lieux des manifestations en marge du Sommet du G7 pour documenter le travail des forces de l'ordre et les violations des droits de la personne. Comment se prépare-t-on à une telle mission ? En exclusivité, La Presse a pu assister à une partie de leur formation. Récit.

Fait-il beau ? Il devrait être facile de répondre à cette question, mais les quelque 40 apprentis observateurs qui assistent à la formation dans une salle de classe sans fenêtre de l'Université du Québec à Montréal ont d'autres chats à fouetter. En ce samedi matin printanier, c'est les risques auxquels ils s'exposent qui sont à l'ordre du jour, pas la température.

Dès les balbutiements de cette journée de préparation organisée par Amnistie internationale et la Ligue des droits et libertés, les responsables de la mission d'observation exposent en long et en large les dangers qui guettent les observateurs bénévoles qui seront partout où il y aura des manifestations en marge du Sommet du G7 : dans les rues de Québec et de Charlevoix, près des fourgons de police, dans les centres de détention, aux abords des hôpitaux, dans les palais de justice.

Armés de calepins et de crayons et vêtus d'un dossard qui les distinguera de la foule, ils travailleront en binôme « pour observer et documenter les actions qui peuvent être des violations des droits fondamentaux », expliquent les formateurs. « Ça peut donner de très longues journées », lance Geneviève Paul, directrice générale d'Amnistie internationale.

ASSUMER LES RISQUES

Les dangers potentiels de la mission qui leur sont présentés vont de la détention jusqu'à la mort en passant par des pertes matérielles et des blessures potentielles. 

À la fin de la journée de formation, les apprentis observateurs devront signer une décharge dans laquelle ils assument « tous les risques liés à la mission ».

Une participante lève la main. « Allez-vous être là pour nous aider, pour faire le maximum s'il nous arrive quelque chose ? », demande-t-elle aux organisateurs. « Les gens qui coordonnent la mission ont beaucoup d'expérience. Avec nos mesures de sécurité, nous couvrons 90 % des risques », répond Nicole Fillion, en rappelant que des missions semblables ont été mises sur pied à Québec en 2001 en marge du Sommet des Amériques ainsi qu'en 2010, lors de la tenue du G20 à Toronto. « Il n'y a pas eu de problèmes, mais on ne peut pas tout prévoir », dit la militante des droits de la personne. « Et ce n'est pas parce que vous avez signé ce document que la police est libérée de ses responsabilités ! », rappelle-t-elle.

DÉRAPAGES PASSÉS

Le ton est donné. La mission en marge du G7 ne sera pas une partie de plaisir. Une fois l'information sur les risques digérée, les observateurs en herbe se remettent à la tâche. Ils n'ont qu'une journée pour se préparer et il y a beaucoup de matière à couvrir : où commencent et où se terminent les droits des manifestants, que disent les règlements municipaux, où faut-il se placer dans une manifestation pour ne pas être pris en souricière, comment réagir si les policiers utilisent des gaz lacrymogènes, quels sont les pouvoirs et les responsabilités des forces de l'ordre.

Les formateurs disposent de plusieurs cas vécus pour étayer leurs propos : depuis 2001, les policiers canadiens ont reçu de nombreuses critiques, notamment aux Nations unies, pour abus de pouvoir, arrestations et détentions arbitraires ainsi que pour utilisation excessive de la force lors de grandes manifestations.

Le G7 de Charlevoix fera-t-il figure d'exception ? Déjà, les autorités ont annoncé que plus de 9000 policiers seront déployés pour assurer la sécurité du Sommet du G7. Des prisons temporaires ont été prévues.

« Avec toutes les annonces sur la sécurité, il y a lieu de se préoccuper du respect du droit de manifester, et c'est essentiel d'avoir une mission d'observation, a dit à La Presse Dominique Peschard, ancien président de la Ligue des droits et libertés. Au cours des ans, on a appris que les techniques policières changent, mais chaque fois, on empêche des gens de manifester. On n'a pas de raison de présumer que ça va être différent cette fois », dit celui qui a participé à plusieurs missions du même genre depuis 2001.

DEVOIR DE RÉSERVE

Pour faire leur travail, les observateurs apprennent qu'ils devront se plier à un code de déontologie strict, qui leur demande de rester neutres et de tenir leur langue pendant toute la mission, voire après. Pas question, donc, de parler aux journalistes sur le terrain ou de publier des bribes d'information sur les réseaux sociaux. Tout ce qu'ils noteront dans leurs calepins sera analysé avec soin et fera l'objet d'un rapport officiel.

Pas question non plus de tomber dans les bras d'un ami qui manifeste lors d'une rencontre fortuite. Ou encore de faire un « high five » à un cousin policier. « Nous devons conserver notre indépendance par rapport à toutes les parties, note Nicole Fillion. On ne peut pas être un intermédiaire entre les parties en cause. On ne peut pas non plus intervenir pour empêcher une violation de droits. Notre mandat, c'est de tout noter de manière factuelle et précise », explique-t-elle.

Travailleuse communautaire qui participera pour la première fois à une mission d'observation, Alexandra Pierre croit que ce devoir de retenue sera son plus grand défi. « En tant que militante des droits humains, quand je vois qu'un droit est bafoué, j'ai envie de dire haut et fort que ça n'a pas de bon sens et de vouloir intervenir. Mais c'est important d'être là en tant qu'acteurs neutres, impartiaux, pour observer la situation et voir si le droit de manifester est respecté. C'est ça, notre mission. »

Photo Robert Skinner, La Presse

Les observateurs bénévoles qui documenteront le travail des forces de l'ordre pendant le Sommet du G7 ont récemment reçu une journée de formation dans une salle de classe de l'Université du Québec à Montréal.

Photo Robert Skinner, La Presse

« Avec toutes les annonces sur la sécurité, il y a lieu de se préoccuper du respect du droit de manifester, et c'est essentiel d'avoir une mission d'observation », estime Dominique Peschard, ancien président de la Ligue des droits et libertés.