ANALYSE - Le premier ministre Stephen Harper et ses deux principaux adversaires politiques, le chef du NPD Thomas Mulcair et le chef du Parti libéral Justin Trudeau, suivront de très près l'évolution de la campagne électorale au Québec, qui pourrait commencer dès la semaine prochaine.

Il est toutefois hors de question qu'ils interviennent, directement ou indirectement, dans cette joute électorale, même s'ils entretiennent peu d'espoir de voir le porte-étendard du fédéralisme au Québec, le chef du Parti libéral du Québec (PLQ) Philippe Couillard, empêcher le Parti québécois de remporter la majorité des sièges à l'Assemblée nationale.

Il est aussi dans leur intérêt d'observer une certaine neutralité, car leurs troupes respectives sont loin d'être sur la même longueur d'onde sur la scène provinciale. Certains conservateurs appuient la CAQ, d'autres se rangent derrière le PLQ. Idem chez les libéraux fédéraux.

Au NPD, la situation est encore plus complexe. Des députés ont plus d'atomes crochus avec Québec solidaire, un parti de gauche souverainiste. D'autres optent pour le PLQ à défaut d'avoir la chance de militer pour un NPD provincial.

S'ils comptent se faire discrets durant la campagne au Québec, il en sera autrement durant les élections provinciales en Ontario, qui risquent d'avoir lieu aussi au printemps.

Dans cette province, les organisations provinciales et fédérales sont tricotées serré. Ce sont souvent les mêmes militants, les mêmes bénévoles et les mêmes stratèges qui travaillent pour le Parti conservateur sur la scène fédérale ou provinciale. La même situation s'applique au Parti libéral et au NPD. Cette homogénéité s'explique évidemment par l'absence du débat référendaire.

Le NPD de Thomas Mulcair voit d'ailleurs les élections en Ontario comme une répétition générale avant les élections fédérales de 2015. D'autant que la donne politique en Ontario est comparable à celle qui prévaut sur la scène fédérale à plusieurs égards.

D'abord, en Ontario, le Parti libéral est au pouvoir depuis 11 ans, et même si la première ministre Kathleen Wynne est en poste depuis seulement environ un an, elle n'a pas réussi à projeter une image de renouveau. À Ottawa, le gouvernement Harper est en poste depuis 2006 et cela fera neuf ans qu'il dirige le pays quand les Canadiens iront aux urnes en 2015. L'usure du pouvoir commence à faire son oeuvre.

Ensuite, les nombreux sondages publiés depuis plusieurs mois laissent entrevoir une lutte à trois en Ontario. Sur la scène fédérale, les libéraux de Justin Trudeau mènent dans les sondages depuis près de 10 mois, mais leur avance n'est pas insurmontable. Le dernier coup de sonde réalisé par la firme Nanos leur accorde 34 % des intentions de vote au pays, tandis que les conservateurs récoltent 29 % et que les néo-démocrates arrivent troisièmes avec 23 %. Une lutte à trois se dessine donc aussi sur la scène fédérale.

«Les comtés ont les mêmes frontières au provincial et au fédéral. Il y a beaucoup de similarités dans les organisations. Mais le NPD a un avantage parce que nous avons l'habitude de travailler ensemble beaucoup plus que les libéraux ou les conservateurs», affirme un stratège du NPD.

«Les élections en Ontario représentent donc une belle occasion pour nos troupes d'aller sur le terrain et d'acquérir encore plus d'expérience en prévision du scrutin fédéral», ajoute-t-il.

Alors que le chef du Parti conservateur de l'Ontario, Tom Hudak, est vu comme un boulet pour son parti, tout comme l'est dans une moindre mesure Kathleen Wynne pour les libéraux ontariens, la chef du NPD Andrea Horwath est la leader politique la plus populaire de la province. Elle a d'ailleurs su tirer son épingle du jeu à ce jour en soutirant des concessions au gouvernement libéral minoritaire, peu pressé de repartir en campagne électorale.

Mieux encore, le NPD a arraché quatre circonscriptions à ses adversaires lors d'élections partielles tenues depuis 2012 - une aux conservateurs et trois aux libéraux - dans des régions comme Kitchener, Niagara Falls ou London Ouest, où ils ont été historiquement absents. Ces percées donnent de l'espoir à leur cousin fédéral.

Détenant la majorité des sièges au Québec, le NPD doit faire des gains ailleurs s'il veut former le prochain gouvernement. Visiblement, Thomas Mulcair compte sur les succès du NPD d'Andrea Horwath en Ontario pour se rapprocher du pouvoir à Ottawa.

Québec et Ontario, même combat électoral?

Il n'y a pas qu'au Québec que les électeurs se préparent à retourner aux urnes. En Ontario aussi, où le gouvernement libéral de Kathleen  Wynne pourrait bientôt être renversé sur le budget. Notre journaliste Hugo de Grandpré a demandé à trois experts quelles pourraient être  les ressemblances ou les différences entre les deux campagnes. En voici cinq.

  1. De minoritaire à... minoritaire?

    Les deux provinces voisines ont en commun d'être dirigées par un gouvernement minoritaire. Or, les sondages indiquent que le Parti québécois pourrait remporter une majorité au Québec, tandis qu'en Ontario, l'issue du scrutin est plus difficile à prédire. «Ce n'est pas impossible qu'on se retrouve avec une autre minorité, quel que soit le vainqueur», estime Luc Turgeon, politologue à l'Université d'Ottawa. Seulement sept points séparent les trois principaux partis ontariens: les conservateurs occupent la position de tête, avec une faible avance sur les libéraux.

  2. Charte, souveraineté, économie et transports

    Évidemment, les enjeux d'une campagne provinciale en Ontario ne devraient pas tourner autour de la Charte des valeurs et la souveraineté du Québec. «Les provinces sont des petits mondes séparés l'un de l'autre», note Peter Loewen, professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto. On s'attend plutôt à ce que l'économie y occupe le haut du pavé. «Est-ce qu'il y a une volonté d'accepter quelques impôts supplémentaires pour assurer un meilleur réseau de transports», évoque par exemple le politologue de l'Université McMaster, Peter Graefe. Le Parti libéral est favorable; le NPD et le Parti conservateur le sont beaucoup moins.

  3. En banlieue de la métropole

    La banlieue de la plus grande ville de chaque province pourrait jouer un rôle décisif pour déterminer le vainqueur des deux élections. Au Québec, le Parti québécois a gagné près de 10 points dans la couronne de Montréal entre octobre et février, selon la maison de sondages CROP. En Ontario, même le NPD se fait accuser de troquer ses positions de gauche pour une approche plus populiste, dans l'espoir de faire des gains auprès de la classe moyenne. Avec des élections municipales prévues pour l'automne, on n'a pas fini d'entendre parler de la Ford Nation...

  4. Le spectre de scandales politiques

    Le Parti libéral du Québec et celui de l'Ontario sont tous deux affectés par des scandales politiques, mais «le cadre de ces scandales est différent dans les deux provinces», souligne Peter Loewen. En Ontario, par exemple, le scandale des centrales au gaz met en cause la décision du gouvernement de Dalton McGuinty d'annuler deux projets impopulaires de centrales à coups de centaines de millions de dollars, apparemment dans le seul but d'éviter de perdre des sièges aux élections de 2011. «C'était d'un cynisme remarquable. Mais ce n'était pas de la corruption», nuance le professeur Loewen.

  5. Des flèches vers Ottawa

    Traditionnellement, c'est plutôt les politiciens du Québec qui tirent à boulets rouges sur Ottawa. Mais depuis quelques années, le gouvernement libéral de l'Ontario a lui aussi levé le ton face au fédéral. La province a grossi les rangs des «provinces pauvres» en 2009, celles qui reçoivent des paiements de péréquation. L'ancien premier ministre McGuinty a alors commencé à marteler que l'Ontario ne reçoit pas sa juste part des transferts aux provinces. «Ça va certainement faire partie des discussions», estime Peter Loewen. Mais après 10 ans au pouvoir, «je ne sais pas si ça va bénéficier aux libéraux ou non, pour être honnête».