Le Sénat à majorité conservatrice a servi une rare rebuffade au gouvernement Harper mercredi en rejetant un projet de loi privé pour forcer les syndicats à divulguer toute dépense de plus de 5000$.

Le projet de loi C-377, introduit à la Chambre des communes par le député conservateur Russ Hiebert, avait la bénédiction du premier ministre Stephen Harper et il souhaitait le voir adopté par la Chambre haute avant la pause estivale. 

Mais les sénateurs en ont décidé autrement. À leur toute dernière journée de séance, des libéraux et une quinzaine de conservateurs ont uni leurs forces pour l'amender et le retourner à la Chambre des communes pour qu'il soit étudié davantage. 

Les députés, qui ont ajourné leurs travaux pour l'été la semaine dernière, devront donc se pencher sur ces amendements à l'automne. 

Le bureau du premier ministre et celui du député Russ Hiebert n'ont pas caché leur irritation. «Nous continuons à appuyer la transparence des syndicats», a tranché le personnel de M. Harper dans une déclaration envoyée aux médias. 

Ils ont laissé entendre que le projet de loi C-377 pourrait même être renvoyé à la Chambre haute dans sa forme originale. «Nous nous attendons à ce que le Sénat respecte la volonté de la Chambre des communes si le projet de loi devait être soumis de nouveau au Sénat», a renchéri le bureau du premier ministre. 

Le leader de l'Opposition au Sénat, le sénateur libéral James Cowan, a pour sa part vanté le travail de ses collègues, au moment où l'existence et la pertinence de l'institution sont plus que jamais remises en question. 

«Le NPD mène une croisade contre le Sénat. Mais si le NPD avait déjà eu gain de cause et que le Sénat n'existait plus, le projet de loi C-377 serait déjà la loi au pays il y a plusieurs mois. Ce sont les sénateurs qui ont empêché ce projet de loi d'être adopté», a déclaré le sénateur Cowan. 

Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, qui est responsable du dossier des scandales éthiques au Sénat et de celui des syndicats, a répondu par voie de communiqué. «Que ce projet de loi ait finalement été amendé par le Sénat prouve une chose: ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'un Sénat qui coûte près de 100 millions de dollars par année aux contribuables, mais d'un gouvernement qui place l'intérêt public avant la partisanerie aveugle», a-t-il lancé. 

La CSN a salué le travail des sénateurs. «Ce projet de loi, même amendé, demeure illégitime, inconstitutionnel et constitue toujours une atteinte à la vie privée», a néanmoins conclu son président Jacques Létourneau. 

Le vote pour ces amendements en troisième lecture a été adopté à 48 voix contre 35. Quinze sénateurs conservateurs ont voté avec les libéraux, tandis que six se sont abstenus. 

Le sénateur Cowan a précisé qu'il aurait lui aussi préféré faire mourir C-377 au feuilleton, mais qu'il avait préféré appuyer les amendements puisqu'il avait été impossible de le faire. 

Les changements ont été proposés par le sénateur conservateur de Montréal, Hugh Segal. Ils proposent d'élever le seuil de divulgation des dépenses de 5000 à 150 000$, celui des salaires de 100 000 à près de 450 000$ et ils exempteraient les sections locales et les syndicats de moins de 50 000 membres de l'application de la loi. 

Le choix de ce seuil de 450 000$ pour la divulgation des salaires d'employés syndicaux est un clin d'oeil à la décision du gouvernement Harper d'imposer cette même limite à la divulgation des salaires des employés des sociétés d'État dans le cadre du projet de loi du député indépendant Brent Rathgeber. Cette décision a entraîné la démission de M. Rathgeber du caucus conservateur au début du mois de juin.