Avec son équipe de recherche de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, Gilbert Bernier a récemment déboulonné la principale croyance entourant la cause de la forme la plus fréquente de la maladie d'Alzheimer. Le chercheur est notre personnalité de la semaine.

La cause de la forme la plus fréquente de la maladie d'Alzheimer, celle qui touche 95 % des patients, demeure un grand mystère.

On sait ce qui cause la forme très précoce, soit 5 % des cas : une mutation de trois gènes.

Mais pour le reste, la science cherche encore.

Cependant, grâce aux travaux de Gilbert Bernier et de son équipe de recherche en biologie moléculaire et en neurobiologie, à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, on en sait maintenant pas mal plus sur cette maladie.

L'équipe de scientifiques a en effet publié récemment dans la revue américaine Cell Reports les résultats de 10 années de travaux où, d'abord, on met de côté l'hypothèse la plus répandue sur les origines de la maladie commune. Cette hypothèse, explique Gilbert Bernier, veut que l'alzheimer courant, la forme qui attaque le cerveau vieillissant, soit déclenché par l'accumulation d'une série de « variants » génétiques, c'est-à-dire de petites anomalies en apparence bénignes qui ne sont pas des mutations, mais qui finissent par faire déraper le cerveau.

Cette façon de voir l'alzheimer a longtemps été tenue pour plausible, « mais on n'avait aucune preuve scientifique de ça », explique notre personnalité de la semaine en entrevue. « Donc on a décidé d'émettre une autre hypothèse. » Soit la possibilité que le déclenchement de la maladie soit dû à un phénomène extérieur, « épigénétique », désactivant un seul gène, le BMI1. « Parce que ce qu'on a remarqué, c'est que dans le cerveau des patients atteints d'alzheimer, ce gène est inactif. »

En d'autres mots, l'alzheimer précoce et l'alzheimer des personnes âgées ne seraient pas la même affection.

« Nous, on dit qu'il y a une dichotomie entre ces deux maladies, apparentées, mais aux origines différentes. »

Pour faire ces travaux, M. Bernier et son équipe ont généré des neurones corticaux humains à partir de cellules souches. Et dans ces neurones, ils ont inactivé le gène BMI1. « Et les marqueurs de l'alzheimer sont apparus », explique le chercheur.

Qu'est-ce que tout cela signifie ? Que pour contrer l'alzheimer, on peut agir de façon ciblée, car il faut réactiver ce gène. La clé de tout nouveau traitement résiderait dans sa capacité à réparer le BMI1.

Travailler à partir de cellules humaines spécifiques

La création de cellules humaines spécifiques à partir de cellules souches, pour pouvoir travailler sur des maladies, est une des spécialités du laboratoire de Gilbert Bernier, qui travaille à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et qui enseigne à l'Université de Montréal.

En 2015, son équipe a réussi à créer de la macula, partie cruciale de la rétine où sont concentrés les cônes qui reçoivent la lumière pour produire des images dans le cerveau et nous permettre de voir la couleur. Cette découverte a ouvert la porte à la transplantation maculaire, un autre grand axe de recherche du scientifique. « On commence les transplantations sur des macaques en août. » Puis il y aura la phase 1 de l'étude clinique d'ici un à deux ans.

Ce programme fera partie des projets de commercialisation de Gilbert Bernier, qui a fondé une entreprise appelée StemAxon, qui travaillera aussi au développement et à la mise en marché d'un traitement contre l'alzheimer découlant des découvertes rendues publiques récemment. Parce qu'il y a actuellement « un petit début de médicament » pour réactiver le gène BMI1. « Ça va bien, dit Gilbert Bernier, on a un bon début. »

Les étapes menant à la mise sur le marché d'un tel traitement sont nombreuses, longues et coûteuses. « Mais si ça marche, le potentiel commercial est titanesque », note le chercheur de 49 ans.

Pour le moment, la communauté scientifique considère les nouvelles percées ; le scepticisme est normal, habituel, explique le chercheur. « Ça nous laisse une marge de manoeuvre pour rester en avant. »

Gilbert Bernier ne vient pas d'une famille de scientifiques, mais son père était un gars de maths, un actuaire. Il est le premier à avoir réussi les fameux 10 examens de la profession, au Québec, explique son fils. « Il m'a montré à collectionner, dit-il. Les minéraux, les roches, les fossiles, les insectes. »

Enfant, « pur produit du réseau des écoles publiques », à Saint-Bruno, « je lisais l'encyclopédie avant de me coucher le soir », explique le scientifique, qui a obtenu son doctorat à l'Université de Montréal et fait quatre ans d'études postdoctorales à l'Institut Max-Planck, à Göttingen.

Ses enfants seront-ils scientifiques aussi ? « Je ne sais pas encore. Il faut que ça soit naturel, que ça soit une passion. Pour être scientifique, il faut rêver de ça à temps plein. »

Gilbert Bernier en quelques choix

UN FILM

2001, l'Odyssée de l'espace, le film culte de Stanley Kubrick. « Je l'ai vu plusieurs fois. Pour le mélange de vie, de mort, de religion, de science... »

UN LIVRE

Ainsi parlait Zarathoustra, de Friedrich Nietzsche. « Je l'ai lu au cégep. Pour la renaissance de l'homme. »

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

« Winston Churchill, pour l'abnégation, le côté envers et contre tous. La persistance, même quand tout le monde lui disait de faire le contraire. »

UN PERSONNAGE CONTEMPORAIN

Elon Musk, fondateur, notamment, de l'entreprise de voitures électriques Tesla

UNE CITATION

« On ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux. »

- Antoine de Saint-Exupéry

UNE CAUSE QUI LE FERAIT DESCENDRE DANS LA RUE

« La survie de la planète Terre. Tout ce que je fais est secondaire à ça. Les gens ne se rendent pas compte de l'impact de l'humanité sur les écosystèmes. On devrait y mettre beaucoup plus de temps et d'énergie. Et sur ma pancarte, j'écrirais : "À bas le plastique, à bas le pétrole..." En fait, il y aurait trop d'affaires, pas assez de place pour tout écrire. Sauvons la planète ! »