Joëlle Pineau a 42 ans, quatre enfants et deux jobs.

Professeure de sciences informatiques à McGill, spécialiste de la robotique et de l'apprentissage automatique - le fameux « machine learning » -, elle vient en effet d'être nommée, en plus de tout cela, à la tête d'une nouveau laboratoire de recherche en intelligence artificielle mis sur pied par Facebook. L'annonce a été faite à Montréal il y a une dizaine de jours, en présence notamment du premier ministre Justin Trudeau.

Notre personnalité de la semaine divisera donc son temps entre l'université et ce centre de recherche où elle pilotera bientôt une trentaine de personnes. Le but de tout cela n'est pas d'améliorer les produits Facebook, explique-t-elle en entrevue, mais bien de faire de la recherche fondamentale sur l'« apprentissage machine ». 

On parle donc de tout ce nouveau champ de développement visant la mise en place de systèmes informatiques qui permettent aux machines de prendre des décisions basées sur l'expérience plutôt que sur des instructions.

Facebook compte déjà trois autres laboratoires de recherche FAIR (Facebook Artificial Intelligence Research), et dans chacun travaillent une trentaine de scientifiques, explique l'informaticienne. Ils sont à Paris, à Menlo Park dans la Silicon Valley et à New York. Montréal, qui a réussi à se tailler une place dans l'univers mondial de l'intelligence artificielle, tant du côté de la recherche universitaire que du côté de l'expertise en entreprise, s'ajoute. Le recrutement de chercheurs va bon train.

Une formation musicale

Mme Pineau n'a pas toujours été une codeuse rivée devant son écran. Jeune, ce n'était pas elle qui inventait des robots pour les expos-sciences scolaires. Dans sa famille, il n'y avait pas de scientifiques. Plutôt des spécialistes de la gestion, des enseignants et des fonctionnaires. Il faut dire qu'elle a grandi à Ottawa.

Mais il y avait un champ d'intérêt partagé par tous, encouragé, nourri : la musique classique.

Donc Mme Pineau a commencé très jeune le violon et est devenue altiste. Elle a étudié la musique pendant 18 ans, a fait son cours au Conservatoire de Gatineau. Et à la fin, elle a été admise à l'Université McGill, dans le programme de musique, pour le bac.

Mais l'idée de devoir répéter trois ou quatre heures par jour ne lui plaisait pas beaucoup et l'élève bonne en maths a plutôt décidé d'aller en génie. C'est ainsi qu'elle s'est retrouvée à l'Université de Waterloo à étudier la robotique, un domaine qui la fascinait. 

« Mais ce qui m'intéressait le plus, ce n'était pas tant les machines que le code, comment les programmer. J'aimais la résolution de problèmes. »

De là, Mme Pineau est partie faire un doctorat en robotique dans une des grandes écoles de génie américaines, la Carnegie Mellon University, à Pittsburgh.

À la fin de ses études, durant lesquelles elle a rencontré son mari, un autre informaticien québécois spécialiste de l'intelligence artificielle aujourd'hui à l'Université de Montréal, l'ingénieure informaticienne décide de revenir au Canada avec sa première fille, née aux États-Unis, qui a maintenant 14 ans. Elle postule autant à des emplois en génie qu'en informatique. Et c'est le département d'informatique de McGill qui l'embauche. Elle y est depuis 2004. Et depuis, trois autres enfants sont nés, dont des jumeaux qui ont aujourd'hui 8 ans. La vie universitaire a une immense qualité pour la conciliation travail-famille, explique-t-elle : la flexibilité.

Apprendre à coder

Est-ce que ses enfants sont tous des inventeurs ou des scientifiques en herbe ? Pas encore. Les écrans ne sont pas nombreux dans la famille, affirme l'informaticienne. Mais la musique est omniprésente. Cela dit, les pommes ne tombent jamais loin du pommier. Les quatre jeunes ont de la facilité en sciences à l'école.

Apprennent-ils à coder ? Devrions-nous tous apprendre à coder ?

« Est-ce qu'avoir des connaissances de base en codage informatique est une bonne chose, une chose utile ? Oui, c'est clair », répond Mme Pineau, qui encourage même les adultes à se pencher sur la question, histoire de comprendre comment fonctionnent les machines omniprésentes dans nos vies. Et, selon elle, c'est accessible à tous grâce à des plateformes comme Scratch, par exemple. Et puis, dit-elle, les cours d'informatique d'il y a 30 ans ne sont pas totalement désuets. La programmation a évolué, les langages aussi, mais certains paradigmes n'ont pas changé « tant que ça », notamment le système binaire.

L'avenir est à nos portes, mais avec quand même encore quelques racines dans le passé.

Ouf !

Joëlle Pineau en quelques questions

Son film préféré ? 

Incendies de Denis Villeneuve, d'après l'oeuvre de Wajdi Mouawad

Son livre préféré ? 

Us Conductors de l'auteur canadien Sean Michaels

Sa phrase préférée ? 

« Qui ne tente rien n'a rien. »

Son personnage historique préféré ? 

Alan Turing, dont les travaux sont aux fondements de l'informatique moderne

Son personnage contemporain préféré ? 

Louise Arbour, qui a été notamment juge à la Cour suprême du Canada et haut commissaire aux droits de la personne des Nations unies

Si vous deviez aller manifester, ce serait pour quelle cause ? 

« Mon envie de manifester pour l'importance de la science a déjà été plus forte, à l'époque où elle était malmenée par le précédent gouvernement à Ottawa. Récemment, c'est le financement de nos écoles publiques qui me ferait plus sortir mes pancartes. »