Allumer son téléviseur à distance, zapper d'une chaîne à l'autre et mettre le son à en sourdine (mute). Des gestes que des centaines de millions de gens font tous les jours et qui, avec le temps, sont devenus banals. Mais en 1955, l'invention d'un gadget pouvant effectuer de telles opérations était une véritable révolution. C'est pourquoi les téléphiles de la planète doivent avoir eu une pensée bien spéciale cette semaine pour Eugene Polley, l'inventeur de la première télécommande sans fil. L'ingénieur américain, qui a longtemps déploré ne pas avoir reçu sa juste part de reconnaissance pour son travail, est mort le 20 mai dernier des suites d'une pneumonie dans un hôpital de Chicago. Il avait 96 ans.

Eugene Polley était à l'emploi de l'entreprise Zenith Radio Corporation lorsqu'il a mis au point en 1955 le Flash-Matic. Semblable à un pistolet futuriste, cette télécommande fonctionnait grâce à un signal lumineux. Autrement dit, elle était l'ancêtre des millions de télécommandes actuelles qui fonctionnent par infrarouge.

Toutefois, la paternité de la toute première télécommande télévisuelle n'est pas toujours revenue à M. Polley. Un certain Robert Adler, également à l'emploi de Zenith, a développé à la même époque une télécommande à ultrasons, la Space Command. Résultat: M. Adler a longtemps clamé être l'inventeur de la zapette puisque la Space Command a rapidement supplanté le Flash-Matic. La télécommande à infrarouge a finalement détrôné la Space Command dans les années 80.

«Cela a particulièrement affecté mon père lorsque Robert Adler a été invité à l'émission de Jay Leno en tant qu'inventeur du zapping», explique Eugene Polley jr, fils unique du regretté ingénieur.

Redevances de...1$

Le père de la télécommande ne s'est pas non plus enrichi avec son invention. «En échange de ses brevets, Zenith lui a signé un chèque symbolique de 1$. Mon père n'a jamais encaissé ce chèque; je viens d'ailleurs d'en hériter. Mon père a finalement reçu l'année suivante un chèque de 1000$ de la part du président de l'entreprise. C'était beaucoup d'argent à l'époque, mais imaginez combien Zenith a fait de millions en redevances avec son invention. Et pas seulement sur les télécommandes de télé, mais aussi sur celles qui ouvrent les portes de garage, bref sur des millions de télécommandes», affirme Eugene fils.

Autre dur coup pour l'inventeur: les quelque 50 000$ d'actions de Zenith qu'il s'était procurées au fil des ans ont perdu toute valeur lorsque l'entreprise a déclaré faillite avant d'être rachetée par la sud-coréenne LG. «C'est une partie de son fonds de pension qui a disparu; il en a été très affecté», déplore son fils.

Retraité en 1982, après 47 années de loyaux services pour Zenith, Eugene Polley a par la suite fait de la consultation. Passionné de golf, il fabriquait des bâtons pour son plaisir. «Mon père a malgré tout connu une très belle vie. Il a fumé pendant 50 ans et a réussi à se rendre jusqu'à 96 ans», dit Eugene fils.

Le temps semble avoir donné raison à Eugene Polley. En 1995, lui et Robert Adler ont reçu un Emmy Award de la part de la National Academy of Television Arts and Science pour leur contribution à l'univers télévisuel. Et de la résidence de personnes âgées où il habitait ces dernières années, l'ingénieur nonagénaire a reçu beaucoup de visite, entre autres de gens venus le récompenser. En 2009, l'Institute of Eletrical and Electronic Engineers lui a remis un chèque de 10 000$.

Sur la pierre tombale de son père, enterré mercredi dernier dans le cimetière Wheaton, en banlieue de Chicago, Eugene Polley fils a pris soin de faire inscrire, pour que personne ne l'oublie jamais: ci-gît l'inventeur de la télécommande.