La commissaire Michèle Audette songe à quitter l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Dans un court communiqué, elle a réagi à la décision du gouvernement fédéral d'accorder une prolongation de six mois à l'Enquête, alors que les commissaires demandaient deux ans supplémentaires.

« Je suis présentement habitée par un sentiment d'incompréhension et de profonde déception, écrit-elle. Mes pensées sont tournées vers les membres des familles, les survivantes de violence et les esprits des êtres chers alors que je considère que le gouvernement du Canada vient de les laisser tomber une fois de plus. »

« Je m'accorde les prochaines semaines pour réfléchir, analyser la décision, émettre mon opinion personnelle et valider ma future participation aux travaux de l'Enquête nationale », conclut-elle en promettant de tenir un point de presse au terme de sa réflexion.

Les autres commissaires ont également exprimé « leur profonde déception » à l'endroit d'Ottawa par communiqué.

« L'annonce d'aujourd'hui nous porte à croire que des considérations politiques l'ont emporté sur la sécurité des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQ autochtones », a écrit la commissaire en chef Marion Buller.

Terminer avant l'élection

Le gouvernement fédéral a annoncé mardi matin qu'il acceptait d'allonger de six mois la durée de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées sans préciser combien d'argent il allouera pour financer cette prolongation.

La ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, a fait valoir qu'accorder un délai encore plus long aurait menacé l'existence même de l'Enquête.

« Les décrets des provinces et des territoires expirent le 31 décembre et si une province ou un territoire avait décidé de ne pas prolonger la durée de son décret, nous n'aurions plus d'enquête nationale publique », a-t-elle expliqué.

Ces décrets donnent le pouvoir aux commissaires de distribuer des assignations à comparaître pour pouvoir obtenir certains témoignages qu'ils jugent pertinents.

L'échéancier électoral est aussi entré en ligne de compte, a reconnu la ministre. La prochaine élection fédérale est prévue le 21 octobre 2019.

« Nous croyons qu'il est très important pour le gouvernement du Canada d'avoir le temps de réagir au rapport final avant de nous lancer dans une élection », a-t-elle indiqué.

La ministre n'a pas voulu indiquer combien d'argent supplémentaire le gouvernement pourrait verser pour la prolongation de l'Enquête se contentant de dire qu'elle aurait ces discussions avec les commissaires.

Néo-démocrates et conservateurs ont dénoncé la décision du gouvernement.

« On a l'impression que ce processus-là que les libéraux ont mis sur pied dérape complètement et c'est dommage parce que l'enjeu est tellement important qu'on aurait dû faire un travail beaucoup plus solide », a affirmé le député du NPD, Alexandre Boulerice.

« Les gens qui vivent quotidiennement l'Enquête souhaitaient que ce soit deux ans et le gouvernement a voulu fermer ça en dedans de six mois, a remarqué le député conservateur Gérard Deltell. Est-ce que c'est par agenda politique ? Malheureusement ça sent ça. »

Une autre démission ?

Le départ de Michèle Audette serait un autre coup dur pour l'Enquête qui a connu une série de démissions depuis sa mise sur pied.

La ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, espère qu'elle choisira de poursuivre son mandat.

« Elle est vraiment très importante pour l'avenir de ce dossier, alors j'espère qu'elle décidera de rester », a-t-elle dit à sa sortie de la Chambre des communes en après-midi.

Les quatre commissaires restants avaient demandé 24 mois de plus et 50 millions au gouvernement pour mener à bien leurs travaux. L'Enquête, dont le mandat vise à identifier les causes systémiques de la violence envers les femmes autochtones, a débuté le 1er septembre 2016 et devait se terminer le 31 décembre 2018. Elle dispose d'un budget de 53,8 millions.

Son rapport final était attendu le 1er novembre 2018. Les commissaires auront maintenant jusqu'au 30 avril 2019 pour le rédiger. Ils auront ensuite deux mois, soit jusqu'au 30 juin 2019, pour fermer les livres.

Des fonctionnaires fédéraux ont indiqué aux journalistes que 600 familles sont toujours enregistrées pour participer aux audiences communautaires de l'Enquête. Deux autres audiences, l'une avec des experts sur le racisme, l'autre sur les pratiques policières envers les femmes autochtones, sont prévues en juin.

Les commissaires entendent se concentrer sur ces activités. Ils font valoir que le nouvel échéancier limite les commissaires qui voulaient s'attarder à la violence subie par les femmes autochtones marginalisées. Ils ne pourront pas non plus mener des audiences régionales sur la présence de racisme systémique dans les institutions gouvernementales.

Parallèlement, le gouvernement fédéral a annoncé une série d'enveloppes pour soutenir les victimes et leurs familles, créer un fonds de commémoration et étudier les pratiques policières.

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Nouvelles enveloppes:

- 21,3 millions pour le soutien des victimes et de leurs familles qui sera prolongé jusqu'en 2020

- 5,42 millions pour la liaison avec les familles et les organismes communautaires autochtones

- 10 millions pour un fonds de commémoration

- 1,25 million sur deux ans pour étudier les pratiques policières

- 9,6 millions sur cinq ans pour la surveillance des pratiques d'enquête de la GRC