Le premier ministre Justin Trudeau voit peut-être son pays comme un îlot d'espoir dans une mer de divisions et de sentiments nationalistes exacerbés, mais le Canada n'est pas à l'abri du populisme, préviennent des experts.

Lors d'un discours devant l'Assemblée nationale française, mardi, M. Trudeau a présenté son pays comme un endroit où les valeurs progressistes s'épanouissent - le libre-échange, la diversité, l'immigration, la protection de l'environnement et l'égalité entre les sexes.

Le Canada a choisi de lutter contre le cynisme et d'être audacieux et ambitieux dans ce contexte mondial morose, a-t-il soutenu.

Une proportion importante de Canadiens semblent avoir une tout autre vision, cependant. La Presse canadienne s'est associée avec la firme Ekos Research plus tôt cette année pour mesurer le sentiment populiste au Canada.

Un peu moins de la moitié des personnes sondées - 46% - ont exprimé des opinions plutôt ouvertes sur le monde et sur les autres Canadiens. En revanche, 30% appartenaient à la catégorie «ordonnée» du monde, c'est-à-dire qu'ils faisaient part de leur insécurité sur les plans économique et culturel. Finalement, 25% se situaient entre ces deux visions du monde.

Le sondage, qui regroupait plusieurs coups de sonde menés auprès de plus de 12 000 Canadiens, avait une marge d'erreur de plus ou moins 0,9 point de pourcentage, 19 fois sur 20. Ses résultats suggéraient qu'il y avait effectivement un terreau fertile pour le populisme au Canada.

Le Canada n'a pas vécu jusqu'à maintenant de campagnes pessimistes et xénophobes comme celles observées aux États-Unis et dans certains pays de l'Europe, a souligné le président d'Ekos, Frank Graves. Mais cela ne signifie pas que le sentiment populiste n'est pas en train de germer au pays.

«Ces forces sont en mouvement», a indiqué M. Graves.

«Ces forces ne sont pas du tout éteintes en France et elles sont certainement évidentes au Canada également.»

Pas un enjeu réglé

Frank Graves a cité en exemple l'élection du chef conservateur Doug Ford, en Ontario - ce dernier utilise une rhétorique «ordonnée» et populiste pour expliquer l'insécurité économique vécue par certains Ontariens.

M. Graves a aussi mentionné les récentes victoires électorales en Hongrie et en Italie.

«Le Canada avait effectivement l'air de choisir un autre chemin sur des sujets comme la xénophobie, le commerce et l'immigration. Toutefois, il y avait malgré tout une portion considérable et très engagée de la population qui n'adhérait pas à cela du tout. Ce n'est certainement pas encore un enjeu réglé», a-t-il analysé.

Mike Medeiros, chercheur à l'Université d'Amsterdam spécialisé en politiques ethniques, en comportement politique et en psychologie politique, croit que l'immigration pourrait susciter des débats au Canada, alors que les demandeurs d'asile continuent d'affluer à la frontière québécoise, notamment.

Tout ce qu'il faudrait, c'est un chef charismatique qui saurait tirer profit de ces opinions, a-t-il suggéré.

«Si (Trudeau) veut simplement dire que le Canada est différent, soit, c'est juste, parce que le Canada est différent - ou du moins il l'a été jusqu'à maintenant», a-t-il soutenu.

«Mais s'il veut dire: »Nous n'avons pas ces inquiétudes«, ce n'est pas exact.»

REUTERS

Doug Ford