Sir John Colborne. La décision du maire de Chambly, Denis Lavoie, de débaptiser une rue et un parc portant le nom de ce militaire britannique qui a maté la rébellion des patriotes soulève une petite tempête.

Le parc et la rue Colborne porteront le nom Ostiguy et l'actuelle rue Ostiguy s'appellera dorénavant Petrozza, en hommage au fondateur d'un restaurant de Chambly, ville de près de 30 000 habitants en Montérégie.

Résultat : le Mouvement citoyen de Chambly (MCC) a déposé hier soir, à la séance du conseil municipal, une pétition de 2400 signatures, opposée à ces changements. Des citoyens contestent la disparition de la rue Colborne et le déménagement de la rue Ostiguy. Et des commerçants se plaignent d'avoir des coûts à assumer : nouvelles cartes professionnelles, nouveau lettrage sur les camions...

Bref, une décision qui fait beaucoup de mécontents.

Mais une décision qui ne changera pas, s'il faut en croire le maire Lavoie, élu avec une confortable majorité en novembre dernier pour un quatrième mandat.

« Des gens disent qu'il ne faut pas occulter l'histoire. Je m'excuse ! Il n'y a pas de rue Adolf-Hitler en Israël, à ce que je sache, ni de rue Robespierre en France ou de rue Pol-Pot au Cambodge. » - Denis Lavoie, maire de Chambly

« Le rôle de Colborne dans la rébellion des patriotes n'est pas glorieux. Même les Anglais ne sont pas très fiers de lui. Je ne vois pas pourquoi je devrais l'honorer », lance le maire.

Au Québec, selon le répertoire toponymique, seul Chambly honore encore la mémoire de Colborne. À Montréal, l'avenue qui portait son nom a été rebaptisée avenue De Lorimier, en 1883.

Il y a bien une impasse du Lady-Colborne à Gatineau, mais elle fait référence au bateau, le Lady Colborne, nommé en l'honneur de la femme du commandant, Elizabeth Yonge.

Cela dit, sir John Colborne n'est pas le premier militaire britannique mal-aimé à être visé par un changement de nom. L'ex-maire Coderre avait déclaré l'an dernier vouloir faire disparaître le nom de Jeffery Amherst de la toponymie montréalaise. « Je ne pense pas qu'on puisse célébrer quelqu'un qui voulait exterminer des autochtones. Goodbye, Mister Amherst ! », avait-il dit.

QUI EST SIR JOHN COLBORNE ?

Né le 16 février 1778 en Angleterre, Colborne était un militaire de carrière. Il s'est illustré très jeune en Égypte et à Malte et a combattu pour la Couronne britannique à Waterloo lors de la défaite de Napoléon, en 1815. Nommé lieutenant-gouverneur du Haut-Canada en 1828, il est surtout connu ici pour avoir maté la rébellion des patriotes dans le sang. À la tête de 2000 hommes armés, en décembre 1837, Colborne a fait bombarder les villages de Saint-Eustache et de Saint-Benoît, incendier les maisons et condamner des patriotes à la pendaison.

QUEL RÔLE A-T-IL JOUÉ DANS L'HISTOIRE ?

« C'est un personnage de très haut niveau dans la colonie, à la fois dans le Haut et le Bas-Canada », indique l'historien Yvan Lamonde, professeur émérite à l'Université McGill. « Il est connu pour son commandement militaire et ses répressions dans la vallée du Richelieu. » Sa conduite durant et après la rébellion lui a valu le surnom de « Brûlot ». Colborne était considéré par les citoyens du Bas-Canada comme un symbole de brutalité, de fanatisme anglo-saxon et d'anticatholicisme.

POURQUOI RAYER SON NOM DE LA CARTE ?

Selon Martin Pâquet, historien et professeur à l'Université Laval, c'est une question de « sensibilités ». Colborne a commis des actes qui ne correspondent pas aux valeurs contemporaines. « C'est un peu normal qu'on relise le passé, dit-il. Mais il faut fournir aux gens les éléments et les informations pour justifier une telle décision. Est-ce qu'on honore quelqu'un dont la contribution à l'histoire est contestable ? On peut s'en souvenir sans l'honorer. »

COMMENT EXPLIQUER LE DÉBAT ?

Le maire Denis Lavoie se doutait bien que la décision d'effacer la mémoire de l'officier britannique de la toponymie de Chambly ne ferait pas l'unanimité. Mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle suscite un aussi vif débat. Il a été surpris de recevoir autant de demandes d'entrevue de médias québécois et canadiens. Selon Patrick Dufresne, candidat défait aux dernières élections sous la bannière de Démocratie Chambly, le problème vient du fait que le maire n'a pas consulté les citoyens avant de prendre sa décision. « Les gens ont reçu une lettre. C'est comme ça qu'ils ont appris les changements de noms de rues », avance-t-il.

EST-CE UNE BONNE DÉCISION ?

L'historien Yvan Lamonde croit que oui. Il est d'accord avec le maire Lavoie et son équipe. « Les propos du maire au sujet d'Adolf Hitler sont forts, dit-il, mais ils font bien comprendre la situation. S'il y a un ennemi actif du Bas-Canada, c'est bien Colborne. Ça ne m'offusque pas qu'on veuille faire disparaître son nom. Ce qui m'importe, toutefois, c'est que le débat se fasse dignement. »

IMAGE TIRÉE DES ARCHIVES PUBLIQUES DE L’ONTARIO

Sir John Colborne