Oxfam-Québec, qui dit adopter une attitude proactive pour empêcher toute inconduite sexuelle parmi son personnel, a, depuis dix ans, coupé les ponts avec trois employés en poste à l'étranger après avoir pris connaissance d'allégations de cette nature.

L'organisation humanitaire a révélé ces cas à La Presse hier en faisant valoir que la direction enclenche des vérifications dès qu'elle est confrontée à des rumeurs d'inconduite, «même en l'absence de plainte», et demande «un suivi avec une vigilance particulière» de ses équipes.

Dans un des cas signalés par Oxfam-Québec, une intervention a été faite en 2008 après que des «rumeurs de soirées à caractère sexuel en groupe» impliquant deux employés de l'organisation en poste en République démocratique du Congo eurent circulé.

Bien qu'il n'y ait pas eu de plainte «ou de preuves», les deux coopérants concernés, un Québécois et un Guinéen, ont «démissionné aussitôt» qu'ils ont été rencontrés à ce sujet, relate-t-on.

Oxfam-Québec précise que l'organisation «n'a jamais pu valider s'il s'agissait de prostituées ou non, car il n'y a pas eu de plainte formelle ni de témoins». Les deux coopérants ont apparemment nié les allégations avant d'abandonner leurs fonctions.

Dans un autre cas, survenu en 2012, une employée d'Oxfam en poste en Haïti a porté plainte contre un collègue «qui recevait des femmes chez lui la fin de semaine» dans une maison partagée avec plusieurs employés.

L'organisation a précisé hier que les femmes en question n'étaient ni des prostituées, ni des bénéficiaires des services d'Oxfam sur place.

«Dans la mesure où les femmes étaient majeures et non des prostituées (donc aucun acte criminel), nous avons avisé l'homme que tout agissement allant à l'encontre du code d'éthique et des valeurs d'Oxfam-Québec ne serait toléré», a souligné l'organisation.

Le coopérant concerné, là encore un Québécois, a donné sa démission après avoir reçu un avis verbal. «S'il n'avait pas donné sa démission, tout autre écart aurait entraîné la fin de son contrat», précise Oxfam-Québec.

L'organisation a souligné hier que les hommes mis en cause n'avaient pas continué, «à sa connaissance», à oeuvrer dans le milieu humanitaire après leurs démêlés.

Le troisième cas relaté par Oxfam-Québec, qui est également survenu en République démocratique du Congo, cette fois en 2017, concerne un employé ayant eu des «contacts physiques inappropriés avec d'autres collègues (main sur la cuisse, caresses dans le dos)». Un avis formel a été donné et la personne «a mis fin à son comportement» sans qu'une plainte formelle ne soit enregistrée.

Oxfam-Canada, qui est indépendante d'Oxfam-Québec, a indiqué pour sa part avoir dû composer avec deux cas d'inconduite sexuelle sur une période de dix ans.

Une enquête pour de possibles malversations financières a permis notamment de découvrir qu'un employé avait «stocké du matériel pornographique» sur l'ordinateur fourni par l'organisation. Il a été congédié parce que son comportement était jugé contraire «aux valeurs» d'Oxfam-Canada.

Dans l'autre dossier, des «attouchements inappropriés» ont été signalés relativement à un bénévole. «L'incident a fait l'objet d'une enquête approfondie et a été résolu entre les parties concernées», a relevé hier une porte-parole.

Scandale à Oxfam Grande-Bretagne

Les deux organisations canadiennes ont révélé ces cas alors qu'un vaste scandale secoue Oxfam Grande-Bretagne, une autre organisation indépendante regroupée comme elles sous la bannière d'Oxfam International.

Le quotidien The Times a révélé vendredi dernier que plusieurs coopérants rattachés à l'organisation britannique avaient fait affaire avec des prostituées en 2011 en Haïti, alors que le pays tentait tant bien que mal de se remettre d'un tremblement de terre dévastateur.

Le directeur du pays pour Oxfam Grande-Bretagne, qui a reconnu avoir utilisé des prostituées, a pu quitter ses fonctions plutôt que d'être congédié après avoir accepté de collaborer à l'enquête. Six autres individus ont démissionné ou ont été congédiés en lien avec l'affaire.

Les circonstances ayant mené à leur renvoi ont été largement passées sous silence dans un communiqué diffusé à l'époque par l'organisation britannique. Et aucune plainte n'a été acheminée à la police, ce qui a suscité l'indignation des autorités haïtiennes.

Le président du pays, Jovenel Moïse, a déclaré hier sur son compte Twitter que ce qui s'était passé en Haïti avec Oxfam représentait «une violation grave de la dignité humaine».

«Il n'y a rien de plus indigne qu'un prédateur sexuel qui utilise sa position dans le cadre de la réponse humanitaire à une catastrophe naturelle pour exploiter les personnes nécessiteuses dans leurs moments de grande vulnérabilité», a écrit Jovenel Moïse, sur Twitter.

Le scandale est exacerbé par un rapport d'Oxfam Grande-Bretagne indiquant que 22 employés de l'organisation, qui en compte 5000, ont été congédiés dans l'année 2016-2017 relativement à des allégations d'inconduite sexuelle. Près de 90 cas de cette nature ont été étudiés durant cette période.

Tant Oxfam-Québec qu'Oxfam-Canada, qui comptent bien moins d'employés que leur pendant britannique, se sont dits «profondément choqués» au cours des derniers jours du comportement allégué des ex-employés d'Oxfam Grande-Bretagne et ont tenu à s'en distancier.

«Chaque cas est un cas de trop»

Les dirigeants des organisations canadiennes insistent sur l'importance des mesures mises en place depuis 2011 pour empêcher tout comportement déviant parmi le personnel de toutes les organisations rattachées à Oxfam.

Ils font notamment valoir qu'un groupe de travail «de haut niveau» voué à la prévention des cas de harcèlement et d'agressions sexuelles a été mis en place à l'instar d'une ligne ouverte de dénonciation pour les employés. Le processus de traitement des plaintes et des allégations a par ailleurs été «facilité».

«Pour Oxfam-Québec, chaque cas est un cas de trop. C'est pourquoi nous nous engageons à continuer à mettre en place les meilleures pratiques de prévention et du traitement du milieu et à inciter les autres acteurs du milieu à faire de même», souligne l'organisation.

Oxfam-Canada souligne que la majorité de son personnel est féminin et qu'il se concentre principalement sur des enjeux liés aux droits des femmes et aux inégalités entre les sexes.

«Comme membres de cette organisation, nous sommes entièrement dévoués à notre travail et aux valeurs d'Oxfam. Nous nous sentons trahis par ces abuseurs», ont déclaré ses dirigeants.