Le fabricant de Doritos s'est retrouvé au centre des discussions dernièrement, car sa chef de la direction a évoqué la possibilité qu'il soit en train de développer des croustilles spécifiquement pour les femmes, mais selon des experts, l'entreprise PepsiCo semble avoir voulu tester les eaux avec ces commentaires.

PepsiCo a publié un communiqué, mardi, qualifiant les reportages sur le lancement d'un tel produit «d'inexacts», ajoutant que des Doritos pour femmes existaient déjà - «on les appelle Doritos».

La semaine dernière, la chef de la direction de l'entreprise, Indra Nooyi, avait raconté en entrevue avec le podcast Freakonomics que les femmes n'aimaient pas se lécher les doigts en mangeant cette collation, ni verser les dernières miettes dans leur bouche, ou faire du bruit en mâchant les croustilles.

Elle avait ajouté que la marque «se préparait à lancer quelques» Doritos conçus pour les femmes, dont les sachets entreraient dans leur sacoche.

Ce pourrait être un faux pas, mais des spécialistes canadiens du marketing avancent qu'il pourrait s'agir en fait d'un geste calculé pour de la publicité gratuite et pour évaluer l'ouverture des consommateurs à acheter des produits «genrés» - en fonction du sexe de la personne.

Mme Nooyi est une femme d'affaires du secteur alimentaire très expérimentée qui savait exactement ce qu'elle faisait «en essayant de tirer avantage de ce marché», a soutenu Jordan LeBel, professeur associé de marketing à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia.

«(Mme) Nooyi est connue pour avoir repoussé les limites... Elle connaît le pouvoir de ses mots», a-t-il analysé.

«Elle pourrait juste avoir voulu tester la réponse. Si c'est l'enfer et que les gens trouvent ça scandaleux, ça ne vendra pas, ça donne des réponses à PepsiCo.»

Les Doritos pour femmes pourraient être sur le radar de PepsiCo, selon cet expert, car les entreprises fabriquent des produits «genrés» depuis des années, en bonne partie parce qu'il y a de la demande.

Critiques des produits «genrés»

Lorsque des produits de la sorte arrivent sur le marché, ils provoquent souvent des débats sur les médias sociaux, ce qui complique le travail des entreprises qui ne savent pas quand et comment les présenter aux consommateurs.

L'entreprise Stonemill Bakehouse s'était fait beaucoup critiquer lorsqu'elle a lancé un pain pour femmes, qui était cuit pour être plus «doux et avec une texture plus légère».

Ferrero SpA a aussi provoqué toute une controverse pour avoir présenté un oeuf au chocolat Kinder Surprise pour filles qui comportait des jouets comme des poupées.

Bic avait aussi suscité les railleries de l'animatrice bien connue Ellen Degeneres pour avoir fabriqué des stylos «pour elle», de couleur mauve et rose.

L'idée de concocter des Doritos pour femmes a aussi été largement critiquée par plusieurs personnalités, dont la mannequin Chrissy Teigen, les actrices Jane Lynch et Busy Phillipps, ainsi que l'humoriste Kathy Griffin.

Même la première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne, s'en est mêlée. «L'original est croustillant, salissant et assez délicieux pour tout le monde», a-t-elle écrit, avec une photo d'elle en train de manger les croustilles.

Avantages pour la marque

Bien que ces commentaires soient négatifs, ils pourraient aider la marque, selon Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politique agroalimentaire à l'Université Dalhousie.

«Plus on en parle, plus les ventes augmentent et les gens se font rappeler que le produit existe encore», a-t-il expliqué.

Il croit lui aussi que PepsiCo a planifié cette sortie de Mme Nooyi afin de générer de la publicité gratuite à un moment où la marque a du mal à joindre les consommateurs impulsifs qui passent plus de temps devant leur ordinateur qu'en magasin.

M. Charlebois fait remarquer que pendant des années, Doritos a ciblé les jeunes et les hommes, négligeant les femmes, qui seraient maintenant sur le radar de l'entreprise.

Selon l'expert, les commentaires de Mme Nooyi sont un coup de marketing parce qu'ils ont été formulés avant le Super Bowl, lorsque les Doritos ont immensément de succès.

Sarah Kaplan, directrice de l'Institute for Gender and the Economy de l'Université de Toronto, a cependant remis en question l'hypothèse voulant que PepsiCo ait voulu simplement attirer l'attention, tout en disant croire que les femmes n'ont sûrement pas entendu le message, n'étant pas intéressées par ce produit.

Selon elle, PepsiCo a tenté de répondre à une pression récente «de créer des produits pour les besoins des femmes» parce qu'elles représentent 50 pour cent de la population et qu'elles contrôlent 80 pour cent des dépenses des ménages - mais l'entreprise a fini par commettre une erreur de jugement, a-t-elle soutenu.

«Peut-être que je suis trop naïve pour croire qu'ils sont ouverts à insulter complètement les femmes», a-t-elle nuancé.