Le gouvernement Trudeau met la souveraineté canadienne à risque dans les régions de l'Atlantique et du Pacifique en refusant de confier au chantier naval Davie la construction de nouveaux navires de ravitaillement afin de répondre aux besoins élémentaires de la Marine royale canadienne, estime le sénateur libéral indépendant Colin Kenny.

Dans une lettre coup-de-poing à l'intention du gouvernement Trudeau, le sénateur Kenny, reconnu pour son expertise en matière de défense, affirme que le Canada ne pourra assurer adéquatement la défense de sa souveraineté dans les eaux de l'Atlantique et du Pacifique au cours de la prochaine décennie. La raison : la Marine royale canadienne n'a actuellement à sa disposition qu'un seul navire de ravitaillement - l'Astérix, construit dans les délais et dans les budgets impartis par la Davie - , tandis que le chantier naval Seaspan de Vancouver ne pourra construire les deux navires que lui a commandés Ottawa en 2011 avant... 2026 ou 2028.

Le Canada risque donc d'être contraint de louer des navires de pays étrangers, comme il l'a fait dans le passé, dans la foulée de la perte de ses deux derniers navires ravitailleurs en 2014, soit le NCSM Protector, rendu inutilisable par un incendie, et le NSCM Preserver, qui a été mis au rancart en raison d'une corrosion avancée.

Mais cette option est loin d'être adéquate, d'autant que les comités de la défense de la Chambre des communes et du Sénat se sont penchés sur cette question au printemps et qu'ils ont convenu que l'écart de capacité navale qui mine la Marine royale canadienne devait être réglé dans les plus brefs délais pour assurer la protection des côtes canadiennes.

« Sans nos propres ravitailleurs, le seul soulagement immédiat était de quêter à d'autres pays et de tenter de louer ce que nous avons perdu. Nous n'avons réussi qu'à obtenir des locations de 40 jours du Chili (Pacifique) en 2015 et de 40 jours de l'Espagne (Atlantique) en 2016. Ce soutien anémique en ravitaillement (80 jours sur 2190 jours opérationnels) a empêché le gouvernement de déployer un groupe opérationnel naval et de soutenir les opérations à l'étranger pendant la majeure partie des trois dernières années », affirme M. Kenny dans sa lettre de trois pages.

Le sénateur estime que le gouvernement Trudeau a devant lui une solution toute simple et moins coûteuse : confier au chantier naval Davie la construction de trois autres navires de ravitaillement, à un prix fixe, de manière que le Canada puisse avoir deux de ces navires sur chacune des deux côtes d'ici 2019 et deux autres navires supplémentaires trois ans plus tard.

Cette solution est aussi avantageuse pour les contribuables, puisque Seaspan a obtenu un contrat pour la construction de deux navires seulement pour la somme de 2,6 milliards de dollars. « C'est une meilleure option au lieu de dépenser deux fois plus pour deux navires avec un design vieux de 26 ans qui ne seront disponibles que dans 10 ans », affirme M. Kenny dans sa missive.

Rappelons que le chantier Davie a été écarté en 2011 de la Stratégie de construction navale du gouvernement conservateur de Stephen Harper. Les contrats pour la construction de petits et de grands navires pour la marine canadienne ont été attribués aux chantiers concurrents Seaspan et Irving, situés respectivement à Vancouver et à Halifax.

Le sénateur Kenny presse le ministre de la Défense Harjit Sajjan de présenter un plan réaliste au cabinet avant la reprise des travaux parlementaires du 29 janvier.

« Le gouvernement doit prendre des mesures décisives et faire construire les trois prochains navires ravitailleurs au chantier naval Davie et permettre à Seaspan de poursuivre la construction de brise-glaces de classe polaire pour la Garde côtière canadienne. Cela protégera les emplois de Seaspan tout en offrant au Canada la capacité de réapprovisionner efficacement la flotte navale au cours des 40 prochaines années. De plus, cela permettra aux contribuables d'économiser des milliards de dollars et de réduire les risques pour les Canadiens en veillant à ce que la Marine dispose des navires ravitailleurs dont elle a besoin le plus rapidement possible », soutient le sénateur.

M. Kenny a dévoilé cette lettre alors que le premier ministre Justin Trudeau poursuit sa tournée du pays aujourd'hui en s'arrêtant à Québec. D'aucuns s'attendent à ce que des questions lui soient posées sur les plans d'Ottawa pour donner un coup de pouce à la Davie.

Quelque 800 travailleurs ont été mis à pied par Davie depuis le mois de novembre, faute d'obtenir de nouveaux contrats après la conversion de l'Astérix, un porte-conteneurs, en navire ravitailleur. Ce navire a été livré à la Marine royale canadienne à la fin de décembre. L'entreprise, qui a respecté le budget de 650 millions et l'échéancier fixés pour ce projet, espérait une nouvelle commande du gouvernement fédéral.

Mais le gouvernement Trudeau a écarté cette option en novembre, soutenant qu'un deuxième navire de ravitaillement n'était pas requis, malgré les rapports du comité de la défense des Communes et du Sénat.

- Avec La Presse canadienne

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE

Le sénateur Colin Kenny