Violence conjugale, agressions sexuelles, discrimination et racisme. Le parcours des femmes autochtones est souvent parsemé d'embûches. Quatre « survivantes » ont raconté leur histoire, hier, à Mani-Utenam, devant la commission d'enquête fédérale sur les femmes autochtones assassinées et disparues au pays. Elles ont pris la parole pour celles qui restent et leurs enfants.

Yvette Bellefleur, de la communauté d'Unamen Shipu, a témoigné de l'horreur qu'elle aurait vécue pendant de nombreuses années, prisonnière d'une relation toxique qui lui aurait valu plusieurs ecchymoses. Femme de carrière, sa descente aux enfers a été longue. Elle a sombré dans l'alcoolisme et tenté de mettre fin à ses jours. Un soir de violence, elle a fui le village en motoneige avec sa fille pour se réfugier dans la communauté voisine.

« J'avais de l'argent, je pouvais payer l'essence. C'était mon ski-doo. Je suis partie. Une femme sur le seuil de la pauvreté ne pourrait pas. Il nous faut des ressources », a-t-elle indiqué. Elle croit que les hommes doivent aussi faire partie de la solution. Elle propose d'accroître également les ressources à la disposition des hommes de la communauté et de favoriser le partage avec les aînés. Voilà maintenant sept ans qu'elle a quitté son ex-conjoint. « Je ne peux refaire le passé. Mon cadeau aujourd'hui, c'est d'être ici. D'être en audience et de partager. »

PAS PRISE AU SÉRIEUX

Une aînée d'Ekuanitshit (Mingan) a raconté les semaines difficiles qu'elle a vécues quand sa fille adoptive a disparu, à l'été 2011 à Québec. « Je n'ai jamais arrêté de la chercher », dit-elle. Selon elle, les policiers n'auraient pas pris au sérieux la disparition de l'adolescente, croyant plutôt qu'elle avait fait une fugue. Elle dit avoir été laissée à elle-même, à l'exception de l'aide reçue de l'organisme Enfants-Retour.

Sa fille a finalement été retrouvée par les autorités cinq semaines plus tard dans un logement de Wendake, toute nue. Elle avait été séquestrée pendant tout ce temps. Son agresseur l'a battue, agressée et brûlée avec des cigarettes. « Il n'y a rien qu'il ne lui a pas fait », relate la mère.

L'homme a été traîné en justice et a écopé d'une peine de cinq ans d'emprisonnement. « Ce n'est pas assez », a-t-elle ajouté, assurant que sa fille souffre encore de ces semaines d'enfer.

DISCRIMINATION ET RACISME

Sylvanne Bellefleur a perdu confiance en elle. L'Innue de Natashquan qui faisait un retour à l'école à Québec allègue avoir été victime de discrimination à l'été 2017. Elle et des proches seraient allés manger dans un restaurant sur la Grande Allée après un spectacle au Festival d'été. N'obtenant pas de service, elle se serait plainte à la serveuse. Les choses auraient dégénéré au point que les policiers sont intervenus.

Les policiers l'auraient malmenée pendant l'intervention, dit-elle. « Ils riaient de moi », a affirmé Mme Bellefleur. Elle aurait enfin été amenée à l'hôpital par des ambulanciers. Les policiers auraient dit aux paramédicaux qu'elle « était juste une femme autochtone et que peu importe ce qu'elle dirait, ils croiraient eux plutôt qu'elle* ».

Aujourd'hui, elle est retournée vivre à Natashquan. « Ma vision a beaucoup changé des services policiers, ambulanciers et médicaux. Même en 2017, on subit du racisme. »

« QU'ON SE RÉVEILLE ! »

Le récit de Jenny Régis est bouleversant. Agressions en bas âge, viol, intimidation, tentatives de suicide, isolement. Le parcours de l'Innue de Uashat (Sept-Îles) n'a rien de facile. Hier, elle a littéralement lancé un cri du coeur devant les commissaires. « Ce qui m'amène aujourd'hui devant vous, c'est le courage qu'a eu mon garçon d'avoir dénoncé à 6 ans [avoir été victime d'une agression]. Je ne veux pas qu'il soit 30 ans à s'enfermer comme moi », a-t-elle exprimé.

Elle affirme avoir dénoncé à trois reprises à la police autochtone les violences dont son garçon aurait été victime, mais que ses efforts ne se sont jamais traduits par le dépôt d'accusations. « Mon garçon aujourd'hui, c'est une autre personne. Je fais tout pour le ramener vers moi. Ça fait huit ans que je cogne. J'ai beau cogner partout, j'ai beau faire la maman, la psychologue, le papa... je n'en ai pas d'aide », a livré avec émotion Mme Régis.

« Je n'en veux à personne, mais s'il avait été un petit garçon blanc, je suis sûre qu'il y en aurait eu des accusations. Qu'on se réveille ! »

RÉSILIENCE ET ESPOIR

Présente à Mani-Utenam pour assister aux travaux de l'enquête nationale, la présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ), Viviane Michel, a salué hier le courage et la résilience des femmes qui ont pris la parole malgré leur souffrance. « Dix ans sinon plus de revendications pour avoir cette commission. Dix ans de mobilisation », a-t-elle affirmé devant les gens sur place.

« On est rendu là, à ce moment où on a un espace pour dire ce qui cloche. Que quand on fait des signalements, la justice ne bouge pas le doigt parce qu'on est des femmes autochtones. Occupons cet espace au maximum », a poursuivi Mme Michel, émotive.

Les propos ont trouvé écho chez Mme Régis. « J'ai beau être malheureuse, je vais me tenir debout, je veux voir la lumière au bout du tunnel. »

* Propos rapportés par le traducteur

Photo Julien Choquette, collaboration spéciale

Jenny Régis et son aidante