Des avocats, dont le bâtonnier du Québec, lancent un signal d'alarme et réclament plus de ressources aux gouvernements pour composer avec la hausse fulgurante du nombre de demandes d'asile au cours des derniers mois au Canada et au Québec.

« Présentement, c'est une situation assez catastrophique. Et s'il n'y a pas de changements dans plein d'éléments du système, on se dirige à vitesse grand V vers un mur de béton. C'est sûr », a lancé Jean-Sébastien Boudreault, président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration (AQAADI).

« On est d'accord avec M. Boudreault, a renchéri le bâtonnier du Québec, Paul-Matthieu Grondin. On pense qu'il y a un manque criant d'argent pour le moment dans ce domaine-là en particulier, et dans la justice en général aussi. »

27 000 DEMANDES EN SIX MOIS

En tout, 27 000 dossiers ont été transmis de mars à septembre à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), selon des données obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. La CISR est le tribunal qui se prononce sur ces demandes.

C'est une augmentation importante, en comparaison des statistiques des dernières années, alors que le niveau s'était maintenu entre 15 000 et 20 000 demandes. Du nombre, environ 14 000 sont entrés au pays de manière irrégulière, comme les nombreux Haïtiens arrivés à pied près du poste frontalier de Lacolle.

Cet afflux de migrants crée des pressions substantielles sur le système. L'arriéré des demandes de la CISR s'élève maintenant à plus de 43 000 cas, alors qu'il n'était que de 15 000 il y a deux ans. En octobre, les délais étaient d'environ 17 mois. 

Or, « actuellement, au Québec, il y a une trentaine d'avocats qui font du refuge à temps plein. Ce qui n'est rien : on est à peu près 26 000 avocats, et il y en a seulement 30 qui font du refuge. Donc, ça vous donne une idée comment le système est engorgé », a précisé Me Boudreault de l'AQAADI.

Ces dossiers sont le plus souvent financés à raison de 330 à 630 $ par dossier par l'aide juridique, a précisé le président, ce qui inclut l'ensemble des procédures, formulaires administratifs et démarches à la CISR, tâches qui peuvent facilement atteindre les 20 heures de travail. Ces montants sont ainsi jugés trop bas par la très vaste majorité des avocats, qui se tiennent loin de ce type de pratique.

« Le système est engorgé, et pas juste à la CISR, a ajouté Me Boudreault. Le système est engorgé partout. Le système est engorgé au bureau d'aide juridique, le système est engorgé chez les ressortissants qui essaient de trouver des avocats et qui ne sont pas capables parce que les avocats sont débordés... »



D'AUTRES MESURES RÉCLAMÉES

Outre l'augmentation des montants d'aide juridique, les améliorations réclamées portent sur l'ajout de commissaires à la CISR et l'élargissement du nombre de dossiers admissibles à une procédure accélérée.

« C'est normal qu'on prenne le temps d'entendre tous les demandeurs, a souligné Stéphanie Valois, qui fait partie de la trentaine d'avocats qui pratiquent dans le domaine à temps plein. Il n'y a pas d'autre façon de le faire que d'y aller un dossier à la fois. Peut-être que prendre des mesures pour que les dossiers les plus simples soient entendus de façon accélérée... Mais ça reste qu'un commissaire doit déterminer si une personne est un demandeur d'asile ou non. On n'est pas dans une usine. »

Janet Dench, directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés, estime que l'engorgement actuel aurait pu être évité, ou à tout le moins diminué, si le gouvernement fédéral avait accordé plus de ressources au CISR dans son dernier budget. Elle déplore le fait qu'Ottawa a plutôt décidé de lancer une étude du dossier.

« C'est une crise qui, au niveau des chiffres, est en train de se développer. Mais c'est quelque chose que le gouvernement a vu venir depuis très longtemps, mais il a décidé de ne pas agir », déplore Mme Dench.

« Le problème à la CISR, c'est le manque de ressources et le manque de volonté. [...] Et le gouvernement est tout simplement en train de repousser le problème. »

- Avec la collaboration de William Leclerc et Thomas de Lorimier, La Presse

Pas d'amnistie pour les enfants inscrits à l'école

Il n'y aura pas d'amnistie pour les familles de demandeurs d'asile dont les enfants ont été inscrits dans le réseau scolaire du Québec si leur demande est jugée irrecevable, a indiqué hier le ministre fédéral de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Ahmed Hussen. Au terme d'une rencontre du comité intergouvernemental sur la migration irrégulière, le ministre a affirmé que les règles d'immigration devaient être respectées par tous. En moyenne, seulement 10 % des demandeurs d'asile dont les cas ont été évalués ont vu leur requête jugée valide jusqu'ici. Le ministre québécois de l'Immigration, David Heurtel, a indiqué qu'il pourrait être difficile de renvoyer des enfants et leurs familles qui ont commencé à s'intégrer à la société québécoise en fréquentant une école, mais il a affirmé que cette décision relevait du gouvernement fédéral. « D'un point de vue humanitaire, même si le processus de demande d'asile s'échelonne sur plusieurs mois, il faut s'occuper de ces gens-là avec compassion et dignité. Ils sont arrivés avec leurs enfants, et au Québec, c'est clair pour nous qu'ils doivent avoir accès à l'éducation », a-t-il dit. - Joël-Denis Bellavance, La Presse