La Commission d'enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec coûtera 9 millions de dollars aux contribuables, estime le gouvernement Couillard, qui est prêt à bonifier l'enveloppe, si nécessaire, selon ce qu'a appris La Presse canadienne.

Le coût total de cette enquête pourrait donc être beaucoup plus important que le montant fixé au départ, surtout que les travaux pourraient nécessiter plus de temps que prévu, alors que la commission envisage déjà une demande de prolongation.

La conseillère aux communications de la commission a indiqué qu'aucun plafond budgétaire n'a été fixé par le gouvernement.

«Nous n'avons pas de montant fixe», a déclaré Catherine Bérubé-Leblanc, en précisant que le gouvernement libéral s'était engagé à fournir à la commission toutes les sommes nécessaires à la réalisation de son mandat, tel que décrit dans le décret gouvernemental.

Selon le décret, le commissaire Jacques Viens encaissera 1200 $ par jour en honoraires durant toute la durée des travaux. Ses dépenses seront aussi remboursées.

Mandat «historique»

Neuf mois après le début des travaux, la commission est toujours à l'étape des préparatifs, occupée à s'organiser, à recruter du personnel, incluant un agent de voyages qui s'occupera des nombreux déplacements qui sont à prévoir.

«On va voyager tellement qu'on est à la recherche de quelqu'un, un agent de voyage, parce qu'il faut réserver constamment des billets, des chambres d'hôtel», a affirmé le procureur en chef de la commission, Me Christian Leblanc, lors d'un entretien avec La Presse canadienne.

L'équipe compte actuellement une quarantaine d'employés, un nombre qui est appelé à croître.

Les Autochtones du Québec sont divisés en onze nations distinctes: les Inuits dans le Nord-du-Québec et dix nations amérindiennes comprenant les Abénakis, les Algonquins, les Attikameks, les Cris, les Hurons, les Malécites, les Micmacs, les Mohawks, les Montagnais et les Naskapis.

La commission «Écoute, réconciliation et progrès», créée par le premier ministre Philippe Couillard en décembre 2016, doit notamment ramener un climat de confiance entre les policiers de la Sûreté du Québec et les femmes autochtones de Val-d'Or.

Les chefs autochtones n'ont toujours pas digéré qu'aucun policier n'ait fait l'objet d'accusations à la suite des plaintes d'agressions sexuelles déposées par certaines d'entre elles.

S'il ne s'agit pas de refaire l'enquête criminelle, Me Leblanc affirme tout de même repartir «à zéro». Il s'affairera au cours des prochains mois à bien documenter ce qui pourrait être considéré comme du racisme systémique envers les Autochtones, un mandat «historique», selon lui.

«Il y a un alignement de planètes. (...) Il y a un temps, qu'il ne faut pas laisser passer, de remettre tout ça sur la table», a-t-il dit.

On va avoir des cas qui démontrent de réels problèmes de discrimination systémique, a-t-il renchéri. Et on va avoir des cas qui vont nous faire ressortir des problèmes ponctuels à certains endroits, de certaines personnes, carrément de racisme.»

Les Québécois pourraient, par exemple, être «confrontés» à des témoignages d'infirmières qui dénoncent les propos racistes de leur supérieure, selon lui.

«C'est facile de dire: «Oui, mais c'était une personne qui était raciste dans le service, on ne peut pas dire que c'est un problème systémique». Ok, je veux bien, mais s'il y a 12 personnes qui viennent nous parler du même service, ou si on nous parle de ce genre de situation là dans douze services différents au Québec, (...) est-ce que ça ne devient pas systémique quand l'hôpital n'a jamais rien fait pour pallier la situation?» a illustré Me Leblanc.

Les premiers témoignages de fonctionnaires et leaders autochtones ont été entendus le 5 juin, et ont duré trois semaines. Un deuxième bloc de témoignages s'est enclenché la semaine dernière. Les récits personnels, eux, n'ont pas encore été entendus.

«Vous savez, tout le monde veut que ça aille vite, a déclaré le procureur en chef. Les gens disent: »Comment ça se fait que ce n'est pas fini ça« »Ben voyons, on vient de commencer!» s'est-il exclamé, en ajoutant avoir l'impression de vivre dans un «triangle des Bermudes où le temps est accéléré».

Prolongation?

Dans cette mesure, «il n'est pas impossible», selon lui, que la commission dépasse son échéance du 30 novembre 2018.

Tout au long de l'entretien avec La Presse canadienne, Me Leblanc a insisté pour dire qu'il fallait prendre le temps de créer un climat de confiance avec les Autochtones et amasser une preuve «entendue». «On ne peut pas dire: «Ben, j'ai lu un livre là-dessus et je (tiens) pour acquis que je le sais».»

Pourtant, depuis les années 1960, trois commissions d'enquête majeures, portant directement sur les peuples autochtones, ont été menées par le gouvernement fédéral (Hawthorn-Tremblay entre 1964 et 1968, Erasmus-Dussault entre 1991 et 1996 et Sinclair entre 2009 et 2015).

Une autre est en cours, qui recoupe l'enquête québécoise: l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Daniel Salée, un politicologue de l'Université Concordia, a critiqué la décision du gouvernement Couillard d'engager de nouveaux deniers publics dans une consultation sur les Autochtones, dans la mesure où le Québec s'est déjà muni d'une Charte de droits et libertés, ainsi que de lois et mesures contre le racisme et autres pratiques discriminatoires.

Le Québec a aussi énoncé quinze principes en 1983 reconnaissant le droit des peuples autochtones à affirmer leur identité propre, et fait une déclaration en 1985 sur la reconnaissance des nations autochtones.

«On connaît les problèmes de fond. Est-ce que (la commission) est vraiment nécessaire? Je me pose encore la question. Cependant, je dois dire, en toute honnêteté, que c'est pertinent pour les personnes qui ont demandé cette commission (...) des gens autour du centre d'amitié autochtone de Val-d'Or», par exemple, a dit M. Salée en entrevue téléphonique.

«Est-ce qu'on va agir? C'est ça la grosse affaire, là, a-t-il ajouté. Ça veut dire véritablement changer la dynamique de pouvoir, donner beaucoup plus de latitude aux Autochtones en matière de gouvernance, la question du territoire», sans quoi le Québec refera inévitablement une autre commission «dans 10 ou 15 ans».

À la suite des questions posées par La Presse canadienne, la commission s'est engagée à comptabiliser et publier toutes ses dépenses sur son site web, et ce, dès le début octobre, une divulgation d'information qui n'était pas prévue.

À titre de comparaison, la facture de la commission Bouchard-Taylor en 2008 s'est élevée à 3,7 millions.

Plus tard, la commission Charbonneau, qui a duré quatre ans, a coûté 44,8 millions au trésor public. Son budget initial était de 14,6 millions.