Les sinistrés de Yamachiche étaient unanimes hier : le niveau de l'eau avait légèrement diminué aux abords du lac Saint-Pierre. Une accalmie salvatrice après des semaines de calvaire. Ils croisaient maintenant les doigts pour que cette embellie se poursuive, alors qu'une fin de semaine très pluvieuse s'annonce en Mauricie. Sur le terrain, des militaires remplissaient des sacs de sable et Philippe Couillard a promis aux sinistrés l'aide de son gouvernement.

« ON VOIT DU GAZON ! »

« Oh ! L'eau a descendu ! Yes ! Je suis contente. Oh, on voit du gazon ! On n'en voyait pas hier », se réjouit Ginette LeBrun en montrant du doigt les quelques brins d'herbe au sec près de son garage. « L'eau a baissé, je touche le fond », confirme son conjoint Christian Montigny, en manoeuvrant la barque qui leur permet de traverser le demi-kilomètre séparant la terre ferme de leur maison, avalée par le lac Saint-Pierre. Depuis cinq semaines, le couple tient bon, malgré l'isolement et les vagues persistantes du lac. « On lâche pas ! Va falloir que la police nous sorte ! », clame Ginette LeBrun.

L'HISTOIRE SE RÉPÈTE

« J'avais une clôture avec une fontaine d'eau et là-bas une balançoire qui a été emportée par la vague d'un bateau », montre Christian Montigny derrière sa maison, l'une des rares qui sont relativement peu inondées. Le résistant de Yamachiche est venu montrer l'ampleur des dégâts à son père Cyrille, 95 ans, qui a habité pendant 46 ans dans cette maison au bord du lac. Même si l'eau nous arrivait à la taille par endroits en descendant de l'embarcation, le vieil homme ne semble pas impressionné par ce déchaînement de la nature. « Non, je l'ai déjà vécu, ça avait monté de trois pieds d'une shot, il y a 40 ans environ ! », raconte-t-il.

BEAUCOUP DE DÉBRIS

« Je vois Galarneau ! s'exclame Ginette LeBrun, éblouie par le soleil. Je prie, je prie, ça n'a pas de bon sens, j'espère qu'il n'y aura pas les 40 mm de pluie que les médias annoncent ! » Assis dans la barque, son beau-père Cyrille Montigny reste imperturbable. « Ça va baisser à un moment donné. Il n'y en aura pas plus en fin de semaine », dit-il, alors que l'embarcation louvoie entre les rues et les terrains des résidences à l'abandon. Sur un muret, le toit d'un cabanon d'un voisin s'est échoué. Plus loin, des débris de maison voguent au gré du courant. « Il y a pas mal de débris ici », lance Christian Montigny, en ralentissant d'un coup sa barque qui voguait à pleine vitesse.

COUILLARD OPTIMISTE

Les débits d'eau à venir au lac Saint-Pierre et dans la rivière Saint-François préoccupent passablement le ministère de l'Environnement. Les riverains du lac, surtout, doivent s'attendre à une augmentation du niveau de l'eau dans les prochains jours, a appris La Presse. Des précipitations sont attendues dans le secteur, mais il faudra aussi composer avec les grandes marées et les vents, qui feront monter les niveaux d'eau, selon le ministère de l'Environnement. Philippe Couillard s'est néanmoins fait encourageant, hier, même si la « phase aiguë » des inondations n'est pas terminée en Mauricie et en Gaspésie. « Si on passe la fin de semaine sans grande pluie, je pense qu'on peut être optimiste de voir, comme j'ai vu à Gatineau ce matin, l'eau se retirer. »

LE SURVEILLANT DU QUARTIER

Il y a déjà cinq semaines que l'eau du lac Saint-Pierre a envahi le terrain de Claude Buisson, épargnant tout juste sa maison, construite sur une petite butte. « Depuis 1979 que je vis ici, je suis habitué », dit-il, dans sa vieille chaloupe. Il est l'un des seuls du quartier, avec son frère, à ne pas avoir été évacué. Il fait même office de surveillant en cas d'urgence. « Mon quotidien n'a pas changé », assure-t-il, même si son quartier entier se confond avec le lac. « Ma chèvre est ici. Je la nourris matin et soir », dit-il en montrant la petite cabane de bois perdue dans cette étendue d'eau jonchée de débris flottants.

DES FÉLICITATIONS AUX MILITAIRES

Des militaires ont passé la journée encore hier à remplir des sacs de sable pour venir en aide aux sinistrés de la municipalité qui a déclenché l'état d'urgence. Naviguant sur un rustique ponton de bois, les soldats ont empilé un nouvel étage de sacs de sable devant la maison de Pierre Lebire et tout autour de sa remise. « J'ai juste des félicitations à leur faire ! », déclare le retraité qui a dû se résoudre à quitter sa maison pour des raisons de sécurité. « On est partis de nous-mêmes. S'il nous arrivait quelque chose dans l'eau, ils seraient venus nous chercher comment ? », se questionne-t-il.

DES SINISTRÉS « D'UNE RÉSILIENCE EXTRAORDINAIRE »

« Ça fait cinq semaines qu'on est avec nos bottes et qu'on s'entraide et qu'on a chacun nos périodes de découragement », raconte Jean-François Blais au premier ministre. Interpellés par des sinistrés de Yamachiche, comme M. Blais et France Bellemare, Philippe Couillard s'est montré rassurant hier. « Nous, on sera là » quand l'eau sera partie, a-t-il promis. « Je trouve ces gens d'une résilience absolument extraordinaire. D'être encore là, et souriants malgré tout. Je n'en reviens pas. Il y a une entraide remarquable », a-t-il ajouté en point de presse.

MAINTIEN DU NIVEAU DE L'EAU

Les barrages d'Hydro-Québec, qui étaient remplis à 80 % en début de semaine, sont maintenant à 90 % - une vanne a été ouverte au réservoir Baskatong - pour écouler lentement l'eau accumulée. Le Comité mixte international de gestion de l'eau a aussi décidé mercredi de maintenir le niveau du lac Saint-Louis à 22,5 mètres de hauteur. Les scientifiques du groupe ont donc mis de côté les arguments des autorités américaines qui souhaitaient voir baisser le niveau du lac Ontario, ce qui aurait entraîné une hausse du lac Saint-Louis.

- Avec Denis Lessard, La Presse