Il n'y a pas que le fleuve, les lacs et les rivières qui débordent ces jours-ci. À la campagne, des fosses à purin sont pleines à ras bord. Beaucoup doivent être vidées d'urgence, car elles menacent de se répandre, ce qui est illégal. Le hic, c'est que bien des éleveurs de porcs et de bovins ne peuvent étendre de purin dans les champs trop détrempés pour qu'un tracteur s'y aventure. Six questions pour comprendre l'enjeu.

POURQUOI LES FOSSES À PURIN SONT-ELLES PLEINES ?

Puisqu'il s'agit de bassins à ciel ouvert, la neige et la pluie contribuent à les remplir. Or, les précipitations ont été particulièrement abondantes ces derniers mois. Normalement, les agriculteurs vident les fosses en épandant le purin sur leurs champs dès le mois d'avril. Mais cette année, beaucoup en sont encore incapables ; leur tracteur s'enfoncerait dans les champs gorgés d'eau.

OÙ TRANSPORTE-T-ON LE PURIN DE TROP ?

Ou bien on trouve un champ assez sec pour y épandre le purin, ou bien on le transfère dans une fosse ayant encore de la capacité. Mais évidemment, elles se font de plus en plus rares. « Je possède trois fosses et j'en ai deux en location et elles sont toutes pleines. Elles sont toutes à cinq ou six pouces du bord. Et aucun voisin ne peut me dépanner. D'habitude, on s'échange de l'entreposage, mais là, on est tous pris pareil », raconte Charles Graveline, qui possède 500 vaches à Saint-Jude, près de Saint-Hyacinthe.

POURQUOI NE FAUT-IL PAS QU'UNE FOSSE DÉBORDE ?

Le purin peut contaminer les cours d'eau. De plus, un agriculteur dont la fosse déborde se retrouve en « infraction environnementale » et peut devoir payer une amende au ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. « Si ça renverse, tu deviens un bandit. Mais si tu prends le même volume et que tu le verses 200 pieds à côté de la fosse, c'est OK ! C'est aussi ridicule que ça ! », déplore Yvon Guérard, agriculteur qui offre un service de vidange de fosse dans la région de Plessisville.

QUELLE EST L'AMPLEUR DU PROBLÈME ?

Les Éleveurs de porcs du Québec affirment ne détenir aucune information sur le sujet. « Les producteurs ne nous appellent pas. Ils savent quoi faire », affirme la porte-parole Vanessa Roland. Mais Yvon Guérard estime qu'il y a « 75 % plus de fosses que d'habitude qui sont à problèmes ». Depuis quelques semaines, il en vide « de deux à quatre par jour ». Ce printemps, il a vidé près de 40 fosses, ce qui se compare à « huit ou dix » à pareille date l'an dernier. « Il y en a vraiment plus que d'habitude. »

QUE FAIT LE MINISTÈRE DE L'ENVIRONNEMENT ?

Malgré nos démarches répétées auprès du ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, il n'a pas été possible de savoir si un nombre particulièrement élevé de constats d'infraction avait été distribué ces dernières semaines, ou si un certain répit était accordé aux agriculteurs en cette période exceptionnelle. Impossible également de savoir si les inspections sont plus nombreuses. On sait que les fonctionnaires utilisent des hélicoptères pour surveiller le niveau des fosses, ainsi que des véhicules. « Tous les jours, je vois passer un camion de l'Environnement dans le rang. Je ne sais pas où il va. Probablement qu'ils inspectent. Ils doivent vérifier si ça coule. La fosse est en béton, c'est comme blanc, alors quand le fumier sort, c'est brun, ça paraît », dit un agriculteur de la Montérégie.

QUELLES SONT LES SOLUTIONS ?

Mieux vaut prévenir que guérir, dit-on... L'idéal est de commencer l'hiver avec des fosses à purin sèches, dit Mélanie Dinelle, éleveuse de porcs à Saint-Rémi. « On ne sait pas ce qui nous attend la saison d'après. Il y en a qui disent que ce n'est pas nécessaire, mais il suffit d'une seule fois... » La jeune femme, qui affirme n'avoir « aucun problème pour le moment », a néanmoins changé ses habitudes de travail. « J'ai arrêté de laver [l'étable]. Plus d'eau, c'est plus de liquide dans la fosse. C'est une des actions que j'ai prises et que d'autres vont devoir prendre à court terme, car on ne sait pas quand on va pouvoir entrer dans les champs. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Cette photo a été prise hier chez un agriculteur qui a exigé de ne pas être identifié par crainte de sanctions du ministère de l'Environnement.