Des opposants aux projets pétroliers dans l'île d'Anticosti veulent bloquer les permis de forages exploratoires récemment délivrés par Québec en faisant intervenir le gouvernement fédéral.

Ils espèrent que le gouvernement Trudeau reproduira son coup d'éclat du mois dernier, alors qu'il émettait un décret d'urgence pour protéger une espèce rare de grenouille des développeurs immobiliers en Montérégie

« J'ai déposé une plainte au gouvernement fédéral », a confirmé le militant Marc Lafrance, rencontré sur le quai de Port-Menier, le seul village de l'île. 

PHOTO IVANOH DEMERS, Archives LA PRESSE

Québec a récemment délivrés des permis de forages exploratoires afin que soit vérifié le potentiel pétrolifère et gazier du sous-sol d’Anticosti.

La firme Pétrolia a reçu à la mi-juin le feu vert de Québec pour procéder à trois forages avec fracturation hydraulique afin de vérifier le potentiel pétrolifère et gazier du sous-sol d'Anticosti.

Les permis incluent le droit de puiser jusqu'à 30 millions de litres d'eau dans les rivières d'Anticosti pour procéder à trois forages, a affirmé hier matin Le Devoir. Le quotidien ajoute que les eaux usées produites par les forages seraient traitées sur place, avant d'être rejetées dans le golfe du Saint-Laurent, contrairement aux prétentions de Marc Lafrance, un opposant farouche aux projets pétroliers sur Anticosti.

L'homme se dit tout de même confiant de remporter sa cause. « Ils vont se faire bloquer, comme pour la rainette faux-grillon, a-t-il assuré. Elle est déposée, ma plainte. »

Ottawa et la rainette faux-grillon

Quelque jours seulement après l'émission des permis de forage à Anticosti, Ottawa annonçait l'émission d'un décret d'urgence pour protéger la biodiversité à l'autre bout du Québec : à La Prairie, le développement d'un nouveau quartier résidentiel a été bloqué pour sauvegarder une espèce de grenouille en voie d'extinction, la rainette faux-grillon.

Le gouvernement Couillard a rapidement dénoncé la décision du fédéral. « Le gouvernement fédéral prend une décision sans travailler en collaboration avec l'ensemble des partenaires, a fait valoir le ministre de l'Environnement David Heurtel. C'est une approche qui est unilatérale, une approche qui va à l'encontre du fédéralisme collaboratif qu'on espérait. »

À Anticosti, Pétrolia réalisera les forages pour le compte de la société Hydrocarbures Anticosti, dont l'État possède 35 % des parts. Jusqu'à 57 millions de dollars d'argent public serviront à financer la phase d'exploration.

Port-Menier toujours divisé

Occasion de relance ou bombe à retardement ? Deux semaines après l'émission de trois permis de forages exploratoires par Québec, les habitants d'Anticosti demeurent profondément divisés sur les transformations majeures qui pourraient accoster leur île.

« Yes ! », s'écrie Géralda Malouin, derrière le comptoir du magasin de souvenirs de Port-Menier, lorsqu'on évoque la plus récente décision du gouvernement provincial. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Moi, je suis pour. »

Sa fille Lina, pour sa part, se dit « ni pour ni contre » l'exploitation, mais voudrait que les travaux d'exploration aillent de l'avant. « Ça fait 50 ans qu'ils nous écoeurent avec ça, explique-t-elle. Il y a du pétrole à l'île, il n'y en a pas... Allez donc au bout de la première étape. » Surtout, les deux femmes se disent fatiguées par les interventions d'individus « qui n'ont jamais mis un pied dans l'île ». 

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Lina Malouin se dit « ni pour ni contre » l’exploitation pétrolière et gazière à l’île d’Anticosti. 

Le militant anti-pétrole Marc Lafrance, lui, continue à s'opposer bec et ongles aux projets énergétiques dans l'île. À Port-Menier, « d'après moi, ça tourne autour de 70 % contre, 30 % pour », a-t-il évalué en entrevue. Des études récemment dévoilées par Québec « ont montré au monde que ça ne générait pas de revenus » pour la population.

À l'Accommodeur et à la COOP, les deux principaux magasins de l'île, les caissiers se disent aussi opposés, quoique moins farouchement. « Le chiffre d'affaires monte parce qu'il y a plus de gens dans l'île », reconnaît Véronique, assise dans l'escalier de la COOP. Mais, « le coin est tellement beau. Pourquoi le détruire pour récolter du pétrole ? »