Ils le surnomment « la Bête » et le combattent avec des techniques dignes d'une bataille aérienne.

L'immense incendie de forêt qui continue de ravager les environs de Fort McMurray subit les attaques répétées de dizaines d'avions-citernes depuis une semaine, alors que les pilotes se relaient en raids répétés pour protéger les maisons et les autres bâtiments de la région.

Philippe Robert est l'un des généraux de cette bataille sans merci. Exilé en Alberta depuis plus de 30 ans, le Québécois est « air attack officer » pour la province.

Chaque jour depuis une semaine, il prend place à bord d'un avion qui survole en cercle le brasier et commande les attaques d'un groupe de quatre petits avions-citernes, avec parfois un hélicoptère ou un immense avion-citerne en renfort. Il doit aussi conjuguer les efforts de ses troupes à celles des pompiers forestiers au sol, ses soldats d'infanterie.

« C'est de la coordination », résume l'homme aux airs d'explorateur avec sa barbe grise, ses vêtements vert forêt et son couteau à la ceinture.

M. Robert est trop humble. « Le "air attack officer", c'est le dieu qui gère tout », explique Leslie Lozinski, qui porte la combinaison de travail jaune canari malgré son travail aux communications du service de lutte contre les incendies. « C'est comme un joueur d'échecs, continue-t-elle. Il doit imaginer la stratégie en fonction des vents et de l'évolution de l'incendie. »

Malgré les décennies d'expérience, l'incendie actuel est particulier pour Philippe Robert. 

« J'ai déjà travaillé sur des feux d'envergure, mais ils étaient isolés des habitations. Là, c'est juste à côté des habitations. Les maisons deviennent simplement un autre combustible », a-t-il expliqué, debout sur la piste de la Lac La Biche Air Tankers Base, au milieu des aéronefs rouge et blanc.

Mardi, il était en vol lorsque le brasier a subitement dévié vers Fort McMurray à grande vitesse. « Avant 11 h 30, ça allait bien, on faisait des progrès », raconte-t-il. Mais « à partir de midi, trois grosses colonnes se sont rejointes et se sont dirigées vers la ville ».

Pas de panique dans l'avion ou sur les ondes radio, jure-t-il : « Il faut garder la tête froide afin de donner des instructions précises. »

Depuis lors, il mène le combat.

«On n'éteint pas le feu, on le contrôle»

Chad Morrison, porte-parole du service de lutte contre les incendies, a affirmé jeudi que peu importe le nombre d'avions-citernes déployés, c'est la pluie qui viendrait à bout des flammes. M. Robert est d'accord. « On n'éteint pas le feu. On le contrôle, on essaie de ralentir son progrès. »

La province a reçu du renfort de partout au Canada, dont du Québec et des Forces armées canadiennes. Il y a tellement d'avions dans le ciel au-dessus du brasier, « c'est comme un aéroport international », constate Dennis Graham, chef pilote de Conair, l'entreprise à qui appartiennent les avions-citernes albertains. Et lorsque la tour de contrôle de l'aéroport de Fort McMurray a dû fermer, le contrôle aérien a été pris en charge du haut des airs.

La base de Lac La Biche, à 45 minutes de vol du brasier, n'est pas la seule base à être mise à contribution pour combattre l'incendie. Les quatre avions-citernes fournis par le Québec ont été envoyés à Slave Lake, au nord-est.

« La présence d'une ville à proximité d'un incendie de forêt » change la donne, a indiqué vendredi Carl Villeneuve, chef pilote pour le service aérien gouvernemental. « Ça arrive au Québec, mais c'est plus rare. »

Les pilotes québécois ne seront pas dépaysés : les techniques de lutte sont sensiblement les mêmes en Alberta. « C'est du conifère qui brûle. Comme au Québec », a dit M. Villeneuve. Ses hommes « étaient contents » de pouvoir venir en aide aux Albertains.

PHOTO NINON PEDNAULT, LA PRESSE

Installé en Alberta depuis plus de 30 ans, Philippe Robert est « air attack officer » dans cette province.