Le suicide compte pour le tiers des morts dans les Forces armées canadiennes depuis cinq ans, selon des données obtenues par La Presse. Une proportion largement supérieure à la normale canadienne, mais que la Défense invite à interpréter avec prudence.

Cette proportion du tiers des morts de militaires causées par le suicide dépasse largement celle de 1,6% que l'on observe dans le reste de la population canadienne. Elle est aussi trois fois plus élevée que le pourcentage de 10% observé chez les hommes canadiens de 20 à 59 ans en 2011, selon Statistique Canada. Ce sous-groupe est plus représentatif de la population militaire, où les hommes composent près de 85% de la Force régulière.

«Pas normal»

«C'est un problème. Je ne trouve pas ça normal que les suicides soient le tiers des décès. Ils en parlent, ils disent que ça n'a pas de bon sens, mais on ne voit pas les actions. Du moins, moi je ne les vois pas et je n'en entends pas parler», déplore Marie-Josée Huard, présidente de l'Association des conjointes de militaires du Canada. Son conjoint, qui a servi en Bosnie et en Afghanistan, souffre lui-même de stress post-traumatique et a songé au suicide, mais il a été «chanceux d'obtenir de l'aide», dit-elle. Selon elle, un soutien à l'extérieur des bases militaires devrait faire partie de la solution.

La crème de la crème

Dans les Forces armées canadiennes (FAC), on invite à la prudence en comparant ces statistiques avec celles de l'ensemble de la population. Les militaires sont généralement plus jeunes et plus en santé, soutient la Dre Elizabeth Rolland-Harris, épidémiologiste au sein des FAC. Ils ont, par exemple, moins tendance à succomber à certaines maladies. «C'est quand même la crème de la crème», dit-elle. En 2011, le taux de mortalité chez les hommes canadiens de 20 à 59 ans était de 226 décès par tranche de 100 000 personnes, tandis que, bon an mal an, il oscille entre 45 et 70 (par tranche de 100 000) au sein des Forces.

Taux contre pourcentage

La Dre Rolland-Harris est coauteure d'une étude rendue publique par les FAC en novembre, qui conclut que le taux de suicide n'a «pas augmenté de façon significative avec le temps et []il n'est pas plus élevé que celui de la population canadienne une fois normalisé selon l'âge». À noter que ces calculs sont basés sur le taux de suicide, justement, et non le pourcentage des décès. Le rapport reste par contre discret sur le fait que ce taux de suicide a graduellement diminué chez les hommes canadiens de 1995 à aujourd'hui, alors qu'il est resté stable au sein de la population militaire, et pourrait même avoir fait un bond au cours des cinq dernières années.

L'impact des missions

Ce rapport de novembre reconnaît néanmoins un lien potentiel entre le suicide et le déploiement en zone de conflit, de même qu'avec le fait de servir dans l'armée de terre. En tout, 158 militaires ont perdu la vie en Afghanistan. Or, La Presse a révélé en avril que 48 s'étaient suicidés après être revenus au pays, et le Globe and Mail a récemment porté le compte à 64. «Je suis inquiet», a déclaré le chef d'état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, lors de la publication du rapport. Les chercheurs militaires ont recommandé d'étudier le sujet davantage.

La pointe de l'iceberg?

Toutes ces données demeurent cependant partielles. Le ministère des Anciens Combattants, par exemple, ne compile pas le nombre de suicides chez les vétérans. De même, les renseignements concernant les morts de réservistes ne sont pas toujours acheminés à la Défense. La situation pourrait évoluer: «Un rapport sur le nombre de suicides chez les vétérans au Canada devrait être publié en 2017. Par la suite, le Ministère entend rendre compte annuellement du nombre de suicides chez les vétérans», a précisé une porte-parole. Les Forces armées mènent elles aussi des études plus approfondies sur la question.

«Effarant»

«C'est effarant comme chiffre», a réagi pour sa part le député du NPD Robert Aubin, au sujet du tiers des morts causées par le suicide. «Nous sommes face à un problème systématique et pour lequel il faut apporter des solutions.» Le NPD réclame plus de gestes concrets pour soigner les militaires aux prises avec des troubles de stress post-traumatique, notamment. Le psychologue et expert du suicide Antoon Leenars parle d'«épidémie de suicides» et invite lui aussi à rendre plus efficaces les soins aux militaires en détresse.

- Avec la collaboration de William Leclerc