Les pensionnats autochtones ont coûté la vie à au moins 3201 enfants, révèle le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Le document de plusieurs milliers de pages dévoilé hier recense en effet 3201 décès, dont 38 au Québec, parmi les quelque 150 000 enfants inuits et des Premières Nations qui ont été enlevés à leurs familles pendant les 130 ans qu'ont duré les pensionnats.

Entre 1941 et 1945, le taux de mortalité des élèves autochtones était presque cinq fois plus élevé que le taux de mortalité général des écoliers canadiens. Dans les années 60 et jusqu'à la fermeture du dernier pensionnat en 1996, il était encore deux fois plus élevé.

Une enquête publiée en octobre par La Presse montre que le nombre de décès violents et suspects chez les jeunes autochtones est demeuré anormalement élevé, même après la fin des pensionnats. Depuis l'an 2000, 259 enfants et adolescents sont morts violemment ou dans des circonstances obscures au Québec. Le taux de morts suspectes chez les enfants inuits et des Premières Nations est près de quatre fois supérieur à celui de l'ensemble de la jeunesse québécoise.

Morts dans l'anonymat

Non seulement les enfants placés dans les pensionnats sont morts loin de leur famille, mais plusieurs sont disparus dans l'anonymat le plus complet. Dans près de 50% des cas, la cause du décès n'a pas été élucidée. La Commission a pu retrouver le nom de 2400 élèves décédés soit dans les pensionnats, soit peu après leur libération. Mais 1161 enfants demeurent sans nom. Pour plusieurs centaines, le sexe n'est même pas connu. En effet, le gouvernement fédéral et les responsables des pensionnats n'ont consigné leur décès nulle part.

Tuberculose et maladies pulmonaires

Selon le rapport, la moitié des enfants ont été emportés par la tuberculose. La grippe, la pneumonie et les autres maladies pulmonaires ont aussi volé de nombreuses vies.

«Pour les enfants autochtones, la majorité des pensionnats n'offrent pas un environnement plus sain que les réserves», écrivent les commissaires, qui parlent de bâtiments  «dans un état délabré» et «dangereusement exposé aux incendies».

Les recherches menées par la commission révèlent qu'au moins 53 pensionnats ont été détruits par des incendies. On recense également 170  autres incendies. D'ailleurs, au moins 40 enfants ont péri dans des incendies.

«En raison de la discipline sévère et de l'ambiance carcérale qui règne dans les pensionnats, un grand nombre d'élèves cherchent à s'évader. Pour les en empêcher, de nombreuses directions scolaires font sciemment des directives du gouvernement concernant les exercices d'évacuation et les sorties de secours», dit le document.

Les commissaires ont aussi recensé quelques dizaines de décès causés par des accidents, des noyades ou de l'hypothermie dont plusieurs sont survenues lors de fugues. On parle aussi de six suicides.

Un ancien élève cité par le rapport raconte comment son père s'est présenté au pensionnat lorsque sa soeur est tombée malade à Aklavik, dans les Territoires du Nord-Ouest. «Il a monté l'escalier et il nous a trouvés. Il a pleuré en nous voyant. Il m'a ramené à la maison. Il a amené ma soeur à l'hôpital, mais elle est morte.»

Appels à l'action

Le rapport final lance une centaine «d'appels à l'action» afin de faciliter la réconciliation entre les peuples et d'éviter qu'un tel « génocide culturel » se reproduise.

«L'histoire du Canada est demeurée silencieuse à ce sujet jusqu'à ce que les survivants du système trouvent la force, le courage et l'appui nécessaires pour raconter leurs histoires dans des milliers de procès qui ont ultimement mené à la création du plus grand recours collectif de l'histoire du pays, écrivent les commissaires.

«Connaître la vérité a été difficile, mais se réconcilier le sera encore davantage. Pour ce faire, il faut rejeter les fondements paternalistes et racistes du système des pensionnats qui sont à la base de la relation. Il faut également comprendre que les conséquences les plus dommageables des pensionnats ont été la perte de fierté et de dignité des peuples autochtones et le manque de respect que les non autochtones ont appris dès l'enfance à avoir à l'égard de leurs voisins autochtones. La réconciliation n'est pas un problème autochtone, c'est un problème canadien.»

Fred Brass décrit en ces mots les années qu'il a passées à l'école catholique de Kamsack, en Saskatchewan : «Ça été les pires années de ma vie. Vous savez, se faire rabaisser par un soi-disant éducateur, se faire battre par des personnes qui sont supposées être là pour veiller sur nous et nous apprendre à discerner le bien du mal... Aujourd'hui, je me demande souvent qui agissait bien et qui agissait mal?»

Ils ont dit

- Justin Trudeau, premier ministre du Canada : «J'ai fréquenté de bonnes écoles. Je ne peux que me sentir coupable, ou du moins très conscient de la différence avec ce qu'ont vécu les survivants, les familles et ceux qui n'ont pas survécu. »

- Ghislain Picard, chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador : «Aujourd'hui, c'est vers les survivants que vont mes pensées. Toutes ces femmes et ces hommes de nos nations qui, le plus souvent seuls, ont dû surmonter leur douleur et affronter la vie du mieux qu'ils ont pu. La  souffrance s'est souvent transmise d'une génération à l'autre. Cette journée historique que nous vivons aujourd'hui doit marquer la fin de ce cycle.»

- Chef Kirby Whiteduck de la nation algonquine de Pikwakanagan : «Ça fait plus de 100 ans que nous attendons ce moment.»

- Goeffrey Kelley, ministre responsable des Affaires autochtones du Québec : «Nous espérons que la voix des survivants et des survivantes, si importante à notre histoire collective, sera entendue par tous les Québécois. Je suis persuadé que ces rapports marquent le début d'un renouveau dans l'histoire de nos relations avec les nations autochtones.»

- Heather Smith, présidente de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants : «Ce chapitre tragique et honteux de l'histoire du Canada doit être dévoilé à tous les Canadiens, à commencer par nos jeunes élèves. (...) L'éducation est d'une importance fondamentale pour la réconciliation. C'est pourquoi la fédération invite les enseignantes et enseignants à apprendre, à encourager le dialogue et à faire mieux comprendre les conséquences des pensionnats dans les classes du pays.»