Le journaliste canadien Mohamed Fahmy a accusé mardi Stephen Harper de s'être lavé les mains de son dossier, alors que l'implication personnelle du premier ministre avec les plus hautes instances du gouvernement égyptien aurait peut-être pu permettre sa libération ou son extradition au Canada.

Lors d'une conférence de presse organisée par les Journalistes canadiens pour la liberté d'expression, à Toronto, M. Fahmy a admis qu'au départ, il a eu du mal à croire que M. Harper ne fasse pas jouer toute son influence auprès des autorités égyptiennes.

«Alors qu'ici au Canada, et ailleurs dans le monde, des citoyens mesuraient très bien l'urgence (de notre situation), le gouvernement Harper, lui, ne voyait pas ça», a soutenu M. Fahmy. Selon lui, le premier ministre Harper, plutôt que d'exercer lui-même des pressions sur le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a confié le dossier à des subalternes, sans réels pouvoirs de persuasion.

Le journaliste a confié mardi que du fond de sa cellule, il lui a été ensuite «bien difficile de ne pas se sentir abandonné et trahi» par son premier ministre.

L'ancien chef de bureau au Caire du réseau anglais de la chaîne qatarie de nouvelles Al-Jazeera avait été arrêté en Égypte en 2013, avec deux de ses collègues, pour avoir «menacé la sécurité nationale» en propageant de «fausses informations» et en offrant une «couverture biaisée» en faveur des Frères musulmans, une organisation aujourd'hui interdite.

Au cours d'un premier procès, en 2014, les trois hommes avaient écopé de peines allant de sept à 10 ans de prison; le confrère australien, Peter Greste, avait obtenu rapidement sa libération. Après avoir passé 400 jours derrière les barreaux, M. Fahmy et son collègue égyptien avaient été libérés en attendant la tenue d'un deuxième procès, en août dernier. À l'issue de ce procès, le reporter canadien avait été condamné à trois ans de prison par un tribunal qualifié de fantoche presque unanimement par la communauté internationale.

M. Fahmy et son collègue égyptien ont purgé une partie de leur peine avant d'être finalement graciés, le 23 septembre dernier, par le président al-Sissi.

Trudeau et Mulcair

Le journaliste et ses supporteurs ont souvent accusé par le passé le premier ministre Harper de ne pas exercer suffisamment de pression auprès du Caire pour ramener le journaliste au Canada. Arrivé à Toronto dimanche, après une escale de quelques jours à Londres, M. Fahmy a rencontré lundi soir le chef libéral, Justin Trudeau, afin de lui exprimer «sa gratitude pour le soutien» dont il a fait preuve. Il a écrit plus tard sur son compte Twitter que son épouse et lui avaient «apprécié leur entretien avec l'infatigable et inspirant» leader libéral.

M. Fahmy a aussi rencontré, mardi après-midi à Toronto, le chef néo-démocrate, Thomas Mulcair, mais il a indiqué que ces entretiens étaient d'abord destinés à discuter de liberté de presse, et qu'il ne fallait pas y voir un quelconque appui à un parti ou l'autre dans la campagne électorale en cours. «Je suis journaliste, je ne peux appuyer personne publiquement», a-t-il indiqué mardi à l'issue de sa rencontre avec M. Mulcair. «Vous savez par contre pour qui je ne vais pas voter, ça c'est certain.»

Il a quand même admis, mardi, que les deux chefs d'opposition avaient fait tout ce qu'ils avaient pu pendant sa longue incarcération, alors que les membres du gouvernement conservateur étaient même réticents à lui parler - ou à communiquer avec ses avocats.

«Il n'y a pas de mots pour décrire (ce que l'on vit) lorsqu'on est accusé à tort, et que l'on est assis dans une cellule froide, infestée d'insectes, avec une fracture à l'épaule, a-t-il raconté. Mais dans cette situation, vous vous accrochez à l'espoir que votre premier ministre fera tout en son pouvoir pour vous sortir de là.»

Un haut fonctionnaire, qui a requis l'anonymat, a soutenu que M. Harper avait bel et bien parlé avec le président égyptien, et lui avait écrit à plusieurs reprises, pour plaider la cause du journaliste canadien. M. Fahmy déclare que si c'est effectivement le cas, il en est reconnaissant, mais il soutient que M. Harper aurait dû «faire preuve de plus de transparence». Selon lui, il n'y a aucun doute que le Canada, dans ce dossier, a adopté un ton «très modéré».

M. Fahmy a par ailleurs accusé le ministre des Affaires étrangères de l'époque, John Baird, d'avoir prolongé sa captivité en annonçant que le ressortissant canadien ne serait pas ennuyé par la justice s'il était extradé dans son pays. Il a aussi rappelé mardi que d'autres journalistes dans le monde croupissent actuellement en prison simplement parce qu'ils ont exercé leur métier, et il a réitéré ses accusations contre son ex-employeur, Al-Jazeera - qu'il poursuit déjà en justice -, pour avoir contribué à son emprisonnement à cause de sa négligence et de sa distorsion des faits.

Mohamed Fahmy s'était installé au Canada avec sa famille en 1991; il a vécu à Montréal et à Vancouver pendant plusieurs années avant d'exercer son métier de journaliste à l'étranger, notamment pour le quotidien New York Times et la chaîne CNN, puis Al-Jazeera.

Il prévoit maintenant s'installer à Vancouver, où il compte accepter un poste de professeur adjoint en journalisme à l'Université de la Colombie-Britannique. Il rédige également un livre sur son expérience.