Ce n'est pas tout à fait comme dans les films de James Bond, mais ce n'est pas non plus un travail de tout repos. En neuf ans, les espions du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont été confrontés à près d'une centaine de «menaces à leur sécurité» alors qu'ils traquaient les terroristes ou les agents de puissances étrangères sur le terrain.

Voici six catégories de périls que l'on retrouve dans leurs rapports, que La Presse a obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

Rage au volant

C'est une constante qui revient année après année dans les 97 «rapports de menace pour la sécurité» rédigés par les agents du SCRS entre janvier 2006 et mars 2015.

On y lit que les accrochages sur la route sont une embûche de taille pour les espions canadiens, qui ne disposent pas de gyrophares sur leurs véhicules et doivent se faire passer pour des usagers de la route ordinaires. Lors de filatures pour des opérations antiterroristes ou de contre-espionnage, plusieurs agents racontent avoir eu maille à partir avec d'autres automobilistes qui les prenaient pour des chauffards.

Des citoyens crachaient sur leur véhicule, leur lançaient de la monnaie, les menaçaient: un agent a même reçu un coup de poing.

Les espions du SCRS ne sont pas des agents de la paix, ils n'ont aucun pouvoir d'arrestation et doivent garder leur identité secrète lorsqu'ils prennent quelqu'un en filature. Leurs patrons leur demandent donc de tout faire pour éviter les conflits. «La rage au volant à laquelle il a été confronté fait partie de la conduite en ville et l'employé a bien géré la situation en quittant l'endroit sans engager le dialogue», résume un superviseur en complément d'un des rapports.

Attaques ciblées

Des employés du SCRS racontent aussi avoir été l'objet d'agressions ciblées. Deux agents ont expliqué qu'un projectile d'arme à feu ou de fusil à plomb avait fracassé la vitre arrière de leur voiture en décembre 2013. Le lieu de l'incident a été censuré dans les documents remis à La Presse, mais les deux agents ont rédigé leur rapport en français, ce qui laisse croire qu'ils étaient du bureau de Montréal ou de celui d'Ottawa.

Un autre agent a raconté que son véhicule a été attaqué à coups de barre de fer en 2009. C'est sans compter les nombreuses menaces (un homme interrogé à son domicile en juin 2015 a affirmé à deux agents que le fait de les tuer par empoisonnement aurait un important impact médiatique) et l'intimidation (plusieurs agents disent avoir été encerclés, s'être fait barrer le chemin ou apostropher de façon agressive).

D'autres rapports censurés laissent entendre que leurs auteurs ont eu une bonne frousse, pour des raisons qui demeurent secrètes. «Heureusement j'ai réussi à sortir de l'édifice», relate un agent. «J'ai été très chanceux de [censuré]», raconte un autre. «Pas de blessure physique subie mais [l'événement] a produit une impression durable chez moi», écrit un espion dans un autre rapport.

Quartiers hostiles

De nombreux rapports racontent comment, sans être démasqués, des agents se sont retrouvés en difficulté simplement parce qu'ils étaient des visiteurs qui attiraient l'attention dans certains quartiers chauds où ils tentaient d'épier discrètement un suspect de terrorisme.

«Les membres de l'unité de surveillance physique ont souvent à travailler dans des secteurs de gangs ou des endroits où le taux de criminalité est plus élevé que la normale. Les membres de gangs approchent souvent les membres pour voir s'ils sont de la police», explique un superviseur du SCRS dans un rapport classé «Secret» au sujet d'un incident remontant à 2010.

D'autres superviseurs parlent d'incidents dans «un quartier fréquenté par des personnes de réputation et d'état d'esprit discutables qui ont souvent une opinion négative de tout type de présence des autorités», ou encore d'agents en position vulnérable qui ont dû fuir rapidement parce qu'on leur a fait comprendre très clairement que les visiteurs n'étaient pas les bienvenus dans le coin.

Des espions canadiens qui tentaient de se faire discrets dans la rue ont par ailleurs vu leur stress grimper en flèche lorsqu'ont éclaté près d'eux des fusillades ou des bagarres violentes qui n'avaient rien à voir avec leur enquête.

Contre-espionnage

Lorsqu'ils épiaient certaines cibles particulièrement dégourdies, des agents du SCRS racontent avoir eu affaire à plusieurs reprises à de véritables manoeuvres de contre-espionnage.

Dans un rapport classé «Top secret» et presque entièrement censuré, un superviseur explique qu'un agent a été averti d'être plus prudent en rentrant chez lui le soir, à la suite d'un événement menaçant.

D'autres disent avoir été suivis ou surveillés alors qu'ils tentaient de se faire discrets. Des gens venaient par exemple prendre en photo la plaque d'immatriculation de leur véhicule avec un téléphone.

Hurluberlus

«Après avoir été sur la surveillance pour la plupart de mes 22 ans au SCRS, j'ai été témoin de beaucoup d'événements bizarres sur la route», raconte un agent dans un rapport sur un incident dont la nature n'a pas été partagée avec La Presse.

Plusieurs incidents menaçants semblent en effet concerner des hurluberlus ou des personnes instables qui ont mis en péril un agent et son opération sans savoir à qui ils avaient affaire.

Une agente a ainsi reçu les attentions insistantes d'un homme dans un secteur «à défis» où elle était en mission incognito, ce qui s'est avéré très «inconfortable», écrit-elle dans son rapport.

Dangers mystères

La grande majorité des 97 rapports transmis à La Presse sont trop censurés pour qu'il soit possible de comprendre l'incident auquel ils font référence. Dans chacun des cas, toutefois, un agent a coché la case du formulaire précisant qu'il s'agissait d'une «menace à sa sécurité».

«Personne ne devrait être surpris d'apprendre que le personnel du renseignement peut se trouver parfois dans des situations imprévisibles et même dangereuses. Le personnel du SCRS comprend ces risques et reçoit une formation approfondie pour y faire face», a déclaré hier Tahera Mufti, porte-parole de l'organisation, interrogée pour cet article.

- Avec la collaboration de William Leclerc