Signe des temps? Une soixantaine de fonctionnaires de Kelowna, en Colombie-Britannique, qui travaillent au service des évaluations de propriétés ont obtenu gain de cause devant un arbitre, au moins partiellement. Ils pourront désormais se présenter au bureau en jeans ou en short.

En 2010, leur service gouvernemental a accepté une politique exigeant des employés qu'ils fassent preuve «de bon sens» dans le choix de leurs vêtements.

Peu de temps après, les responsables du bureau de Kelowna, eux, ont énoncé une règle maison prohibant expressément le jeans et le short.

Ça n'a pas passé. En janvier 2012, les fonctionnaires de Kelowna ont décrété une journée denim.

Devant l'arbitre chargé de trancher la question, les syndiqués ont évoqué la chaleur de Kelowna, le fait, aussi, que le veston et la cravate pouvaient représenter un véritable obstacle dans l'exécution de leur travail, des citoyens refusant de leur ouvrir la porte en les prenant pour des vendeurs. Ils ont aussi allégué en gros que l'interdiction du jeans et du short n'était que des caprices de gestionnaires qui voulaient reproduire en région les manières de grandes villes comme Victoria et Vancouver. L'employeur, lui, plaidait qu'il y avait un décorum minimal à respecter au travail.

Au bout du compte, l'arbitre a jugé qu'il n'était pas acceptable de tenir pour acquis, d'emblée, que l'employeur avait plus de bon sens que l'employé dans ses choix vestimentaires. Au surplus, est-il écrit dans la décision, «rien ne prouve que le fait de porter un jeans ou un short porte atteinte à l'image de l'employeur».

L'arbitre passe très vite sur la question, mais il semble que lorsqu'ils sont sur le terrain, à l'extérieur du bureau, un plus grand décorum peut cependant être exigé des fonctionnaires.

Au Québec

Au Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, on indique que le port de jeans et de vêtements d'été n'est pas balisé par des codes vestimentaires. Il arrive cependant que des notes de service soient envoyées, comme le fait chaque été Revenu Québec, qui rappelle à ses employés qu'ils ne peuvent pas se présenter au boulot en sandales de plage, en short ou en camisole.

Diane Pacom, professeure de sociologie à l'Université d'Ottawa, fait observer qu'il n'est pas surprenant que ce genre de question soit soulevé dans notre société de plus en plus individualiste, où bon nombre de personnes ne supportent pas de se soumettre à des règles ou des codes définis par autrui. «La société est aussi très influencée par la mode, et nombreux sont ceux qui cherchent à présenter un look très personnalisé».

«À une certaine époque, on mettait ses beaux vêtements pour prendre l'avion ou pour aller à l'opéra. À l'université, mes professeurs étaient en costard. Aujourd'hui, plus grand-chose ne distingue les professeurs des étudiants, et si la fluidité n'est pas encore totale entre ce que l'on met à la maison et ce qu'on porte à l'extérieur, on ne s'étonne plus beaucoup de voir des gens en jeans, même à l'opéra.»

Un manque à l'étiquette

Qu'en pensent les expertes en étiquette? Deux d'entre elles, qui ont étudié à la Protocol School of Washington, croient que l'arbitre a erré. «Quand je vois quelqu'un en jeans ou en short, ça me dit que la personne est en vacances, pas au travail», dit Chantal Lacasse, formatrice en «savoir-être».

«Les employés ont trop souvent tendance à oublier que l'image à mettre de l'avant, ce n'est pas la leur, mais celle de l'entreprise.»

Selon elle, on aurait tort, aussi, de penser qu'on peut se relâcher dans certains milieux. «Un fermier qui verrait arriver chez lui un conseiller financier en jeans aurait sans doute raison de se demander s'il n'aurait pas droit à plus d'égards.»

Mme Lacasse précise cependant qu'il faut s'ajuster à son milieu. «En publicité, par exemple, si j'ai devant moi un homme cravaté en habit brun, j'aurai peut-être tendance à craindre qu'il ne soit pas le plus créatif.»

Dans les cabinets de comptables et d'avocats, il en va tout autrement. «Si tu te destines à ces milieux, tu dois savoir que c'est rigide et que tu dois te plier aux règles.»

Pour Julie Blais-Comeau, la règle d'or est finalement assez simple. «Pour savoir si on est habillé convenablement, il suffit de voir si, à cinq minutes d'avis, on se sentirait tout à fait à l'aise d'aller manger avec son client le plus important ou avec son grand patron.»