Les abattoirs doivent faire face à de nombreuses maladies qui peuvent fragiliser l'industrie canadienne de la viande. Mais selon le Syndicat de l'agriculture, une nouvelle épidémie serait tout aussi menaçante: le stress. Une ex-inspectrice de l'Agence canadienne d'inspection des aliments a accepté de se confier à La Presse à propos des conditions de travail qui ont, selon elle, mis en péril sa santé mentale, et qui pourraient aussi, selon le syndicat, avoir de graves conséquences sur la salubrité des viandes et le bien-être des animaux.

C'était plus facile de me faire taire que de changer les pratiques de l'entreprise»

Au cours de ses 27 années de service en tant qu'inspectrice pour l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) dans les abattoirs du Québec, Josée Masse a choisi à deux reprises de quitter ses fonctions à cause du stress que lui causait son métier. Près de cinq ans après son départ à la retraite anticipé, le regard des bêtes et le bruit de la chaîne d'abattage continuent de la hanter. Mais aussi les menaces et les injures auxquelles elle a dû faire face dans certains établissements qu'elle a visités.

Après des années de silence, Josée Masse est tombée en décembre dernier sur des images d'horreur tournées en caméra cachée dans un abattoir de la province. «Je n'ai pas pu m'empêcher d'écrire un commentaire sous la vidéo pour dire que j'avais vu bien pire. C'est à ce moment que la blogueuse Annick Blais m'a contactée et que j'ai accepté de lui raconter mon histoire», se souvient-elle (pitiemangemoipas.com).

Chaque jour, pendant près de trois décennies, l'ex-inspectrice a dû cibler les animaux qui présentaient des maladies ou des handicaps, du transport à l'abattage, en s'assurant que le bien-être animal soit respecté, mais aussi évaluer une à une les carcasses qui défilaient sur la chaîne.

Au début de sa carrière à l'ACIA, elle a fait ses premiers pas dans de petits abattoirs qui avaient le souci du travail bien fait. «Je m'attendais à retrouver d'aussi bonnes conditions partout. Ça n'a pas été le cas», raconte Mme Masse, qui s'est rapidement retrouvée dans un abattoir de poulets qui roulait à 10 000 bêtes à l'heure.

C'est quand elle a rejoint des établissements qui abattent de plus gros animaux que les choses se sont gâtées.

En tant qu'inspectrice, elle devait en effet s'en remettre à son supérieur, un vétérinaire de l'ACIA, responsable de l'établissement. Ce dernier pouvait décider s'il y avait lieu ou non d'agir. «S'il se tient debout, on peut arriver à faire quelque chose. Mais s'il est plutôt pro-compagnie, tout va aller de travers. Disons qu'il y avait des supérieurs qui étaient meilleurs que d'autres.»

Josée Masse devait ainsi quotidiennement faire preuve de doigté pour faire respecter la loi fédérale en matière d'inspection. «Certains camionneurs très pressés me disaient: "Ôte-toi de là! Tu veux faire ma job et débarquer les cochons? " Je rapportais la situation à mes supérieurs, qui me répondaient: "Mais ils sont fatigués, les gars, Josée." Un jour, j'ai vu un camionneur qui faisait sauter les cochons du haut de sa passerelle. Je suis allée voir le vétérinaire qui, heureusement, a fini par lui crier: "Arrête ça tout de suite! Ce ne sont pas des chevreuils! "»

«La vitesse tue»

Au Québec, un abattoir moderne de porc tue en moyenne 600 bêtes à l'heure. Un rythme effréné que les inspecteurs doivent suivre pour repérer les carcasses problématiques.

«Arrangez-vous pour voir les pneumonies, les infections, les parasites, etc. Il faut tout identifier!», lance Josée Masse. «Tu as juste le temps de te retourner et une pile de carcasses de cochons superposés est devant toi», dit-elle.

« "Madame Brigitte Bardot! Elle se prend pour une autre et pense qu'elle va tout contrôler!" J'arrête la chaîne et ils la repartent. Personne n'était là pour m'appuyer, jusqu'à ce que le vétérinaire intervienne enfin!», dit Josée Masse.

Elle dit avoir été victime, mais aussi témoin, à de nombreuses reprises d'intimidation de la part d'employés des abattoirs où elle a travaillé. «Des collègues inspectrices se sont déjà fait dire qu'elles pourraient se faire ralentir sur la route. Moi, on m'a dit: "Fais attention, j'ai vu de l'huile en dessous de ton char." J'ai vu des vétérinaires pleurer et se faire cracher au visage. Mais ce qui me reste en tête, c'est l'indifférence des employés des compagnies et de l'ACIA face à la cruauté animale», lance-t-elle.

Malgré des conditions de travail difficiles, Josée Masse a décidé de ne pas baisser les bras. «On se méfiait de moi plus que d'autres inspecteurs. Défendre les animaux était devenu ma cause. Je n'étais pas la seule, heureusement. Et il y a tout de même eu des condamnations.»

Le coup de grâce

Mais Josée Masse a fini par se décourager une première fois à la suite d'un cas de cruauté animale en 2007.

«Des poulets étaient mis sous mes yeux encore vivants dans des poubelles, car ils ne convenaient pas. J'ai rapporté ça à mon supérieur, qui m'a dit de ne plus aller là. J'ai demandé mon transfert à l'Agence, et ils m'ont dit de ne pas faire des caprices à tout bout de champ. J'étais devenue le problème. Et c'était plus facile de me faire taire que de faire changer les pratiques de l'entreprise», confie l'ex-inspectrice, qui a finalement dû se résoudre à reprendre du service jusqu'à ce qu'un autre événement la décide à démissionner pour de bon, en 2010.

«Un des cochons avait été mal saigné et bougeait encore. J'ai arrêté la chaîne, et un employé m'a crié en se frappant sur la poitrine: "Qu'est-ce que tu fais là? Il finira de mourir dans l'eau bouillante!" J'ai alors commencé à me faire régulièrement insulter. Je ne dormais plus. La compagnie m'a demandé de ne pas ébruiter l'affaire. Quand j'ai vu que l'Agence ne me protégeait pas, j'ai démissionné», conclut Josée Masse.