De nouvelles normes découlant de la syndicalisation des familles d'accueil liées à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) se traduiront d'ici quelques semaines par des milliers de dollars supplémentaires pour les proches qui hébergent un enfant de leur famille se trouvant sous la protection de la DPJ, a appris La Presse.

Ces familles d'accueil «de proximité» pourront ainsi récolter de 24 000 à 38 000$ par an pour héberger un enfant, neveu, cousin ou petit-fils, qui se retrouve sous la protection des services sociaux parce que ses parents sont jugés inadéquats.

Facture globale de ce nouveau régime: 45 millions pour l'ensemble du Québec.

Pour la ministre déléguée aux services sociaux, Lucie Charlebois, c'est une question d'«équité» pour les familles d'accueil de proximité. «Pourquoi un enfant qui est chez sa grand-mère serait pénalisé parce qu'elle n'a pas de sous, alors que s'il était en famille d'accueil, les gens seraient rétribués?»

Dans le réseau des centres jeunesse, on craint les conséquences de ce projet, en apparence tout à fait louable. «On ne peut pas être contre le fait que ces gens-là soient rémunérés», dit Stéphanie Gadoury, conseillère-cadre aux services à l'Association des centres jeunesse du Québec. «Mais est-ce qu'un grand-papa doit être syndiqué pour garder son petit-fils?»

L'appât du gain pourrait ainsi devenir une motivation pour recueillir un enfant, craint-on. «Il y a des dérives possibles et ça va changer nos façons d'intervenir, estime Michèle Goyette, directrice de la clientèle à l'ACJQ. On ne peut pas nier que ça pourrait arriver. Les intervenants le craignent.»

Nouveau modèle de relations de travail

Tous ces changements découlent de la législation qui a défini un nouveau modèle de relations de travail pour les ressources intermédiaires et de type familial, qui desservent tout le réseau de la santé ainsi que celui des services sociaux. Désormais, ces ressources sont affiliées à un syndicat.

Les règles qui régissent l'accueil d'un enfant sous la protection de la DPJ en famille d'accueil ont donc été modifiées. Les familles reçoivent davantage d'argent pour s'occuper des enfants, mais, en retour, elles doivent remplir des conditions précises pour devenir et demeurer familles d'accueil.

En février, les familles d'accueil de proximité (celles qui font partie de la famille immédiate ou éloignée de l'enfant placé) seront soumises au même régime. «On a voulu s'assurer d'une meilleure équité entre toutes les ressources qui s'occupent d'un enfant», plaide la ministre Lucie Charlebois. Elle assure que les centres jeunesse seront compensés pour cette nouvelle dépense.

Dérives en cours

Sur le terrain, des intervenants commencent déjà à constater les «dérives» du nouveau régime, puisque la rémunération des familles d'accueil de proximité a déjà fait un bond, l'an dernier: on l'a établi à 9000$ par an. Auparavant, les compensations versées à ces familles étaient souvent minimes et variaient d'un centre jeunesse à l'autre.

«On a vu une grand-mère reconnue famille d'accueil parce que sa fille est inapte. Elle accueille donc son petit-fils, récolte les revenus, mais par la suite, sa fille vient vivre avec eux», raconte un intervenant, qui a tenu à conserver l'anonymat.

«Un homme met sa fille dehors. L'oncle s'en occupe. Si la jeune ne se retrouve pas sous la tutelle de la DPJ, l'oncle n'a pas de revenu. Il la retourne donc dans la rue pour qu'elle soit signalée, afin de toucher la rémunération. Et quelque part, on peut le comprendre», raconte un autre.

Un autre cas problématique a récemment été traité devant les tribunaux. Un enfant adopté par une famille connaissait des problèmes importants. Il a donc été retiré de la garde de cette famille et est retourné vivre avec sa mère biologique, qui reçoit alors la rémunération de famille d'accueil de proximité.

Avec ces familles de proximité, «nous ne sommes plus dans le registre de travailleurs autonomes, mais plus proches d'une mesure d'aide humanitaire, d'aidant naturel. On parle ici d'un engagement personnel lié à un enfant avec qui on a déjà un lien significatif, souvent même un lien familial ou de sang», écrivait Jean-Nil Thériault, président de l'ACJQ, dans une lettre transmise au cabinet de la ministre des Services sociaux de l'époque, Dominique Vien. La missive avait pour but de convaincre le Ministère de ne pas appliquer les nouvelles normes aux familles de proximité.

«La DPJ a le devoir de faire son travail. Les motifs pour retenir un signalement ne changent pas et le signalement doit faire l'objet d'une analyse complète. Dans les cas que vous citez, que font les intervenants?», rétorque la ministre Charlebois.

Mêmes revenus, critères allégés

En contrepartie d'une rémunération bonifiée, les familles d'accueil standard devront se soumettre à des critères de sélection rigoureux. Les familles de proximité seront-elles soumises aux mêmes critères? Pas tout à fait, répond l'ACJQ.

«Les critères seront moins restrictifs parce que le caractère significatif de la personne a beaucoup d'importance. Les exigences vont être adaptées», explique Michèle Goyette. Les antécédents judiciaires, par exemple, seront-ils un frein à l'accueil d'un enfant? «On va examiner l'intérêt de l'enfant», dit-elle.

Dans les faits, après un certain temps de placement, il sera loin d'être évident de déplacer un enfant d'une famille de proximité qui ne répondrait plus aux critères de qualité, croit un intervenant. «Ça va devenir très difficile. Sur le terrain, tout le monde trouve que ça n'a aucun sens. Et que ça va être ingérable», dit-il.