Un phénomène particulier s'est produit au Congrès américain au sujet du Canada. En fait, il s'agit plutôt de deux phénomènes. Le premier est que les mentions du Canada sont à la baisse depuis quelques années. Très à la baisse.

Les archives du Congrès démontrent une baisse de la moitié des mentions depuis les débats sur le libre-échange du début des années 1990. Les guerres d'outre-mer, les négociations commerciales et la tourmente géopolitique ont supplanté le Canada aux yeux des législateurs américains. On compte 1548 mentions du Canada lors du 102e Congrès de 1991-1993 par rapport aux quelque 700 mentions au cours du 113e Congrès, qui tire à sa fin.

Le deuxième phénomène est la couleur politique de ceux qui aiment parler du Canada. Les démocrates ont longtemps parlé - parfois en bien, parfois en mal - du Canada. Maintenant, ce sont principalement les républicains qui le font, selon le site Internet Capitol Words.

«Il y a eu un changement dans la perception, a expliqué Christopher Sands, un observateur du Canada à l'institut Hudson de Washington. La perception actuelle est que le Canada est un pays un peu plus conservateur».

Ce changement est survenu autour de 2006 - l'année où les Canadiens ont porté le Parti conservateur au pouvoir. Mais M. Sands croit que le changement de perception a été plus graduel: le phénomène a commencé quand le Canada a équilibré son budget dans les années 1990, a baissé les impôts des sociétés et est devenu un exportateur important de pétrole.

Un des indicateurs de ce phénomène est que le Wall Street Journal, une publication conservatrice ayant déjà qualifié le Canada de pays honoraire du Tiers-Monde, ne cesse maintenant de vanter son voisin nordique.

Il s'agit habituellement d'un point de comparaison peu flatteur pour l'objet principal des critiques du journal: l'administration Obama. Ce thème est devenu récurrent au cours de l'été avec l'annonce du transfert du siège social de Burger King au Canada, là où les impôts seront moins élevés pour l'entreprise.

La nouvelle image du Canada s'est démarquée au cours d'une entrevue accordée par le premier ministre Stephen Harper au rédacteur en chef du Wall Street Journal, Gerard Baker, lors d'un colloque au siège social de Goldman Sachs, l'automne dernier.

«As-tu changé Canada ? Es-tu devenu un pays plus conservateur? Un pays qui estime plus le secteur privé depuis l'arrivée au pouvoir (de M. Harper) ? Es-tu plus conservateur dans tes perspectives ? Dans ta sensibilité ? Dans ton caractère ?»

M. Harper a répondu qu'il le pensait bien. Il a ensuite raconté aux conservateurs américains comment il était parvenu à attirer les immigrants vers son parti. Au cours de la même rencontre, il a dénigré le président russe Vladimir Poutine et annoncé qu'il envisageait prolonger la participation canadienne à la guerre contre le groupe armé État islamique (ÉI) en Irak.

Ainsi, le Canada, jusqu'alors reconnu pour son système de santé socialisé, ses politiques sociales libérales et son aversion pour la guerre en Irak, est vu sous un angle différent. Le voisin du Nord est devenu un pays favorable aux grosses sociétés pétrolières, aux réductions de taxes pour les petites entreprises, qui adopte un discours belliciste contre M. Poutine et l'ÉI.

Une autre preuve statistique démontre l'importance des ressources énergétiques du Canada aux yeux des Américains. Selon la société montréalaise Influence Communication, qui se spécialise dans l'analyse de contenus médiatiques, le plus important événement de l'année qui s'est déroulé au pays du hockey est, à l'échelle mondiale, l'attaque à main armée contre la Chambre des communes.

Partout ? Pas vraiment. Les Américains, eux, ne sont pas d'accord.

Là-bas, l'événement qui a le plus retenu l'attention des médias est la saga entourant le projet de pipeline Keystone. Selon Influence Communication, on en a fait mention dans 9449 reportages ou articles, 30 % de plus que la fusillade d'Ottawa. Cette dernière avait quand même eu droit à une grande couverture médiatique qui avait été interrompue par la présence possible d'un cas d'Ebola à New York.

Les opinions au sujet des enjeux canadiens sont variées chez les Américains. Si le Wall Street Journal applaudit l'appui du gouvernement au milieu des affaires, le New York Times, un quotidien plus à gauche, a publié un article expliquant comment la classe moyenne au Canada avait une meilleure qualité de vie que sa contrepartie américaine. «(Les gens de la classe moyenne) travaillent pendant moins d'heures pour plus d'argent. Ils bénéficient d'un meilleur filet de protection sociale. L'inégalité des revenus est moins importante.»

Hilary Clinton, considérée par les sondages comme la favorite de la prochaine course présidentielle, a mentionné cet article dans l'un de ses discours. L'ancienne secrétaire d'État a aussi lancé quelques amabilités à l'endroit du Canada lorsqu'elle a prononcé une allocution à une rencontre de gens de gauche, à Ottawa.

Ses adversaires républicains critiquent occasionnellement le Canada. Les observateurs conservateurs ne sont pas toujours tendres envers leurs voisins du nord comme a pu le démontrer le débat entourant le «Obamacare».

Les attitudes envers le Canada transcende malgré tout les lignes idéologiques, soutient M. Sands. «Les deux partis aiment le Canada. Les républicains et les démocrates veulent de bonnes relations avec le Canada.»

La firme Gallup a publié son sondage annuel au sujet des attitudes des Américains envers les autres nations de la planète. Année après année, les résultats demeurent inchangés: le pays étranger préféré des Américains est le Canada. Pas moins de 93 % des répondants ont une perception favorable de leur voisin du nord. C'est devenu si routinier que l'entreprise n'en fait parfois pas mention dans ses communiqués.