Le Canada fait preuve d'«aveuglement volontaire» dans le dossier de Léon Mugesera et aurait tout intérêt à s'intéresser de plus près à son procès, affirme une spécialiste du droit international. Selon Fannie Lafontaine, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux de l'Université Laval, le cas de cet ancien résidant de Québec, renvoyé au Rwanda en 2012, illustre la problématique du transfert de prisonniers accusés de crimes de guerre vers leur pays d'origine.

«Une fois qu'un juge a évalué qu'il n'y a pas un risque déraisonnable à renvoyer un individu, il devrait y avoir des assurances diplomatiques et elles devraient être suivies d'un contrôle, explique-t-elle. Il y a beaucoup de moyens de faire ça. Si ce n'est pas réaliste de demander à des employés de l'ambassade de le faire, on peut mandater des organisations non gouvernementales locales ou canadiennes.»

La Presse a rapporté hier, dans une entrevue exclusive, les propos de Léon Mugesera, qui affirme ne pas avoir droit à un procès équitable et être victime d'intimidation en prison, au Rwanda. L'homme de 62 ans, qui est arrivé au Canada en 1993, est accusé d'incitation au génocide.

Le ministère des Affaires étrangères et le cabinet du premier ministre Stephen Harper n'ont pas répondu à nos appels à ce sujet.

Manque de suivi

Fannie Lafontaine estime que le fait de juger les gens là où le crime qui leur est reproché a été commis est une bonne chose, mais elle déplore qu'il n'y ait «pas de suivi systématique». D'autant plus que «Léon Mugesera est un test, il fait partie d'une première vague de transferts de prisonniers vers le Rwanda», commencée en 2011 par différents pays ainsi que par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, basé en Tanzanie. «Les Rwandais ont un désir très fort de poursuivre les génocidaires chez eux, mais le monde entier aurait intérêt à aller voir comment ça se passe.»

«Le Rwanda a réformé ses lois, aboli la peine de mort, aboli la peine de prison en isolation à perpétuité, construit une nouvelle prison qui respecte les normes internationales, mais il reste des préoccupations quant au déroulement des procès et aux conditions de détention», estime celle qui a aussi été conseillère au Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies.

Les déclarations «très politisées» du procureur général du Rwanda à l'égard de ressortissants rwandais acquittés à l'étranger et les assassinats d'opposants politiques, comme Patrick Karegeya, tué au début de l'année en Afrique du Sud, en témoignent.

«Si le Canada s'insurgeait, émettait des doutes sur le déroulement du procès de Léon Mugesera, ça aurait un impact non seulement sur lui, mais sur tous les autres qui sont dans sa situation. Le Canada n'a pas l'obligation juridique de le faire, mais ça devient une question morale.»

Le Rwanda n'est pas le seul pays concerné par les préoccupations touchant le renvoi dans leur pays d'origine de ressortissants soupçonnés de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. «Le Canada a des dizaines de présumés criminels de guerre sur son territoire, indique Fannie Lafontaine. Jusqu'à 700 ou 800, selon certaines estimations. Ils sont retournés chez eux, parfois sans même avoir l'assurance de subir un procès. Et une fois qu'on les a renvoyés, on ne s'y intéresse plus.»